OPINION

La mort, une fatalité qui nous guette tous

Je suis médecin en soins palliatifs depuis plus de 20 ans. J’accompagne des gens en fin de vie dans le cadre des soins à domicile et de lits de soins palliatifs dans notre CHSLD local.

Plusieurs me demandent : « Comment faites-vous ? Ça doit être tellement difficile. »

Ça illustre bien, je crois, la perception qu’ont les gens de cette fatalité qui nous guette tous au bout du chemin et la peur d’y faire face.

Je leur réponds que la mort est inévitable et se fait tout naturellement. De plus, c’est à la fin de notre vie que bien des questions se clarifient.

Qui sont nos vrais amis  ? Mes proches m’aiment-ils pour qui je suis  ? Ai-je vécu une vie pleine de sens et referais-je les mêmes choix ? Qu’est-ce que je laisse derrière moi  ? Ai-je fait une différence pour quelqu’un  ? Suis-je prêt à accorder ma confiance aux soignants et à mes proches dans ces moments de perte d’autonomie  ? Puis-je conserver ma dignité tout en devenant dépendant des autres pour mes besoins de base  ? Si oui, comment  ?

Ai-je le désir d’abréger ma dernière étape de vie en demandant l’aide médicale à mourir, ou ferai-je confiance au système de santé et à ma famille pour m’accompagner jusqu’à la fin  ?

Sommes-nous prêts à parler de la fin de notre vie alors que nous sommes bien en santé  ? Échangeons-nous sur nos croyances ou nos volontés  ? Bien peu, je crois, et c’est dommage.

Je suis abonnée à une application sur mon iPhone intitulée WeCroak. Un message apparaît cinq fois par jour pour me rappeler que je vais mourir un jour et il est accompagné d’une citation sur l’importance de bien vivre. Sur la page d’ouverture, on y écrit : « Au Bhoutan, on dit : "Contempler la mort cinq fois par jour apporte le bonheur". »

L’équipe des soins palliatifs avec laquelle je travaille et moi-même sommes privilégiés d’accompagner les patients vers leur dernière (est-ce la dernière ?) destination.

Plusieurs sont d’une sérénité déconcertante. La plupart acceptent de nous accorder leur confiance et s’abandonnent à nous et à leurs proches. Ce sont souvent les morts les plus douces. Quant aux gens qui repoussent l’idée de partir jusqu’à la toute fin, le processus se fait plus difficilement pour eux et pour leur entourage. Nous les accompagnons aussi dans leur résistance et demeurons réceptifs : l’isolement est une bien plus grande souffrance.

Comment introduire ces sujets chez les bien-portants et leur faire comprendre que nous gagnons à nous instruire sur notre mortalité ?

Notre société semblait prête pour l’aide médicale à mourir. A-t-elle les connaissances et les aptitudes à prendre ces graves décisions au moment venu ?

Je dois quitter la pratique médicale après 30 ans et je laisse mon équipe de soins palliatifs sans médecin, faute de relève. J’en suis profondément attristée.

Force est de constater que ce n’est pas une priorité du Ministère ces temps-ci.

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