Chronique

Le fameux seuil « psychologique » de 50 % d’impôt

Si le Parti libéral du Canada prend le pouvoir à Ottawa, les Québécois qui gagnent plus de 200 000 $ verront leur taux d’impôt marginal grimper à 53 %, au-dessus du seuil « psychologique » de 50 %. Dur à avaler ?

Pas pour Justin Trudeau qui expliquait, hier matin à la radio, que comme le Canada est un pays « de grands espaces et de longs hivers, il y a quelque chose dans notre psychologie qui fait qu’on est là pour s’occuper de ceux qui en ont besoin ».

Pour la tradition du partage de la richesse, je veux bien. Mais pour le lien entre la météo et la fiscalité, j’avoue que je ne pige pas trop. À ce compte-là, les riches devraient plutôt avoir des baisses d’impôt à cause du réchauffement climatique !

Sans blague, est-il si grave de dépasser le fameux seuil de 50 % d’impôt ? Pourquoi pas 51 %, 52 % ou davantage ? Après tout, le taux d’imposition des mieux nantis s’élevait à 68 % dans les années 70.

***

Sur le plan politique, imposer davantage les riches est certainement une recette gagnante. Face à Stephen Harper qui a mis en place des mesures fiscales profitant aux mieux nantis, comme le fractionnement du revenu et la bonification du compte d’épargne libre d’impôt (CELI), Justin Trudeau se pose en Robin des Bois avec cette promesse dévoilée lundi.

En haussant le taux d’impôt de 29 à 33 % sur les revenus excédant 200 000 $, il prend trois milliards de dollars dans les poches du 1 % le plus riche pour redonner cette manne à la classe moyenne, réduisant le taux d’imposition de 22 à 20,5 % sur la tranche de revenus allant de 45 000 à 90 000 $.

Mais en fait, tous les Canadiens qui gagnent entre 45 000 et 200 000 $ profiteraient de cet allégement fiscal de 670 $ par année, soit 1340 $ pour un ménage de deux revenus.

Par contre, les hauts salariés y goûteraient.

Au Québec, le taux marginal combiné fédéral/provincial grimperait de 49,97 à 53,3 % (en considérant l’abattement fiscal). Dans cinq autres provinces, la hausse de 4 % ferait grimper le taux d’imposition des plus riches au-dessus de 50 %, incluant en Ontario où le taux (53,5 %) serait désormais un peu plus élevé qu’au Québec.

Mais c’est au Nouveau-Brunswick que la hausse ferait le plus sourciller, car le gouvernement vient tout juste d’annoncer que le taux marginal le plus élevé passera à 54,75 %. Imaginez 4 % de plus : on s’approcherait de 60 % !

***

Au Québec, il en avait fallu moins pour faire rugir le patronat et l’opposition. Le gouvernement minoritaire de Pauline Marois, qui voulait hausser le taux marginal à 55,22 %, avait été forcé de faire partiellement marche arrière.

Certains craignaient que la hausse n’incite les mieux nantis à travailler moins ou à refuser une promotion. Mais cela est peu probable. En fait, les études démontrent que le taux d’imposition a peu d’impact sur le nombre d’heures travaillées par les très hauts salariés.

Non, le principal problème de cette hausse avortée, c’est qu’elle aurait creusé considérablement l’écart d’imposition entre le Québec et les autres provinces. Les contribuables aisés auraient été tentés de s’exiler ailleurs au Canada ou de mettre en place une stratégie fiscale pour esquiver la hausse.

Bref, en taxant davantage les riches, Québec risquait de tuer sa poule aux œufs d’or.

Mais évidemment, cet argument ne tient pas la route si la hausse d’impôt touche le Canada au grand complet.

Vous me direz que les Canadiens pourraient toujours quitter le pays pour fuir le fisc. Autour de 53 %, il est vrai que le taux d’imposition canadien serait nettement plus élevé que dans la moyenne des pays de l’OCDE (43 %). Seuls la France et quelques pays scandinaves seraient au-dessus.

Chez nos voisins américains, par exemple, le taux marginal se situe à 46 % en moyenne, quoiqu’il atteigne 52 % dans certaines villes comme New York ou San Francisco.

Mais il ne faut pas oublier de regarder l’autre côté de la médaille : les Américains ont-ils autant de services que les Canadiens ? Je ne pense pas que les garderies à 7,30 $ (ou même à 20 $) courent les rues à Manhattan !

***

N’empêche, une hausse de l’impôt des plus riches peut provoquer le départ de certains contribuables fortunés.

On n’a qu’à se souvenir du départ fracassant de Gérard Depardieu pour la Belgique, en réaction à la « taxe à 75 % » de la France. Cette taxe applicable sur les revenus dépassant un million d’euros a aidé François Hollande à se faire élire, avant de devenir un véritable boulet. La taxe a finalement été mise au rancart au début de l’année, après seulement deux ans d’application.

À 53 % au Canada, on serait loin du 75 % de la France. Les contribuables feraient-ils leurs bagages ? Pas nécessairement. Mais beaucoup risquent de redoubler d’imagination pour réduire leur fardeau fiscal. Les comptables et les fiscalistes ne manquent pas d’imagination…

Au lieu d’augmenter le taux d’imposition des riches de 4 % d’un coup sec, peut-être serait-il plus efficace de revoir d’autres mesures qui profitent surtout aux riches : éliminer le traitement fiscal préférentiel sur les options d’achat qui sont versées aux patrons, revoir l’imposition sur le gain en capital…

La Commission d’examen sur la fiscalité québécoise le suggérait dans son récent rapport. Mais seul le Canada peut lancer ces changements.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.