Opinion

Penser la Constitution et le fédéralisme avec les peuples autochtones

Voici le dernier de trois textes de réflexion du professeur à la faculté de droit de l’Université de Montréal Jean Leclair.

Une chose qui frappe dans le document Québécois, notre façon d’être Canadiens récemment publié par le Parti libéral du Québec est l’importance accordée aux peuples autochtones qui, d’« objets » de droit constitutionnel qu’ils étaient, sont maintenant traités comme de véritables « sujets » de droit constitutionnel.

Dans la Constitution de 1867, les peuples autochtones n’étaient que des « matières » relevant de l’autorité du Parlement fédéral, au même titre que les banques, la faillite, ou les chemins de fer interprovinciaux. Aujourd’hui, et grâce à la pugnacité des autochtones qui, à l’échelle canadienne, ont lutté et continuent à lutter pour avoir voix au chapitre, les peuples autochtones ont obtenu, avec l’adoption de l’article 35 de la Constitution de 1982, l’équivalent de ce que le Québec a naguère acquis avec l’Acte de Québec de 1774, c’est-à-dire la consécration de leur droit collectif à la différence.

Là où les « Canadiens » – expression qui désignait alors les « nouveaux sujets » britanniques d’origine française – ont obtenu le droit de recourir à la tradition juridique française en matière de droit privé, le droit de pratiquer leur religion et celui de participer à la vie politique, les peuples autochtones ont obtenu la reconnaissance de leurs « droits ancestraux et issus de traités ».

L’article 35 constitue la première reconnaissance officielle d’une réalité qu’on ne pouvait plus taire, c’est-à-dire la participation, en tant qu’acteurs politiques collectifs, des peuples autochtones à la construction de l’État fédéral canadien.

Toutefois, les droits ancestraux et issus de traités (dont la preuve est très difficile et coûteuse à établir) confèrent, pour l’essentiel, des droits territoriaux et non des droits de nature politique.

Or ce que les peuples autochtones désirent, c’est avant tout une forme d’autonomie politique.

D’ailleurs, la reconnaissance d’une autonomie politique véritable aux communautés autochtones (mais bornée en fonction, entre autres, de leur taille) s’avère actuellement la solution qui a porté le plus de fruits pour permettre aux autochtones de s’épanouir collectivement (pensons, par exemple, à la convention de la Baie-James).

Les communautés autochtones ont le droit, à l’instar des Québécois, de se penser elles-mêmes, ce qui inclut, en passant, le droit de s’inscrire dans la modernité comme elles l’entendent. C’est-à-dire qu’on ne doit pas les enfermer dans le cercueil d’une autonomie confinée à ce que les non-autochtones estiment « authentiquement indien ».

Génocide culturel

Certains rêvent peut-être encore de voir les peuples autochtones disparaître, et, avec eux, les problèmes qui y sont associés. Toutefois, si le génocide culturel auquel on les a soumis ne les a pas achevés, je ne vois pas quel mécanisme de destruction systématique pourrait y parvenir. Leur répression et leur marginalisation étaient non seulement moralement révoltantes, mais totalement inefficaces. On voulait « tuer l’indien pour sauver l’homme ». En réalité, on s’est souvent contenté de tuer l’homme tout court.

Le document du PLQ est fort habilement rédigé, puisqu’en mettant l’accent sur le rôle des peuples autochtones dans la construction de l’État fédéral canadien, le gouvernement actuel du Québec se trouve du même coup à renforcer la « théorie pluraliste » du fédéralisme qu’il promeut.

En effet, le document se fonde sur l’idée que le fédéralisme canadien est le fruit, en partie, d’un « pacte entre nations ».

Cependant, là où autrefois on ne parlait que des nations québécoise et canadienne-anglaise, on soutient maintenant que « la notion de peuples fondateurs s’est transformée […] compte tenu des revendications de plus en plus affirmées des peuples autochtones ». Ce qui amène le gouvernement actuel à plaider pour un fédéralisme qui « met l’accent sur la coexistence de plusieurs nations au sein d’un même ensemble ».

Il est indubitable que les peuples autochtones font partie des « acteurs constituants » de l’État fédéral canadien, en ce sens que le Canada n’aurait jamais vu le jour sans eux et qu’ils continuent à jouer un rôle essentiel en tant qu’acteurs politiques collectifs.

Il reste à voir si le PLQ entend vraiment embrasser cette perspective fédérale avec les peuples autochtones. Plusieurs traités sont actuellement négociés. On verra donc sous peu si les décisions sauront s’accorder avec les paroles.

Enfin, tout en reconnaissant leur importance, il faut garder en mémoire que les nations autochtones, au même titre que la nation québécoise ou canadienne, ne sont pas des masses indistinctes d’individus unanimes et interchangeables. Les citoyens autochtones sont eux aussi porteurs de multiples appartenances. Il s’ensuit que la voix des chefs autochtones n’épuise pas toujours la voix des autochtones.

Si les négociations de « nation à nation » en viennent à s’apparenter à un jeu à somme nulle, où seules les voix des élites politiques se font entendre, l’idéal fédéral poursuivi ne sera jamais rencontré, et la confiance des uns envers les autres en pâtira.

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