Éditorial Conciliation travail–famille

Une heure de moins par jour

Avez-vous l’impression de toujours manquer de temps ? Si oui, vous n’êtes pas seuls. C’est le message que nos élus entendent de plus en plus lors de leurs coups de sonde, et ils en parleront lors de la prochaine campagne électorale québécoise.

Tant mieux si la conciliation travail-famille s’inscrit à l’ordre du jour. La famille ramènera le débat politique sur des bases un peu plus concrètes. Lors de la dernière campagne fédérale, les partis rivalisaient de promesses pour courtiser la « classe moyenne ». Or, ce concept reste flou – presque tout le monde croit y appartenir. On l’utilise pour dire n’importe quoi afin de plaire à n’importe qui. Justin Trudeau l’invoque même encore aujourd’hui pour offrir un cadeau à Netflix, une multinationale étrangère qui évite l’impôt chez nous.

Il est commun de mesurer le succès d’une société avec la croissance du PIB ou la création d’emplois. Mais au-delà des statistiques économiques abstraites, il y a la qualité de vie. Parler de famille nous rapproche des problèmes concrets des électeurs. Ils disent être écartelés entre le travail, la famille et les autres tâches quotidiennes. Ils se sentent piégés par l’horloge.

Dans l’ensemble, les Québécois travaillent plus. De 1986 à 2010, leur semaine moyenne de travail s’est allongée de quatre heures. Sans surprise, cette hausse est encore plus grande chez les femmes, car elles sont plus nombreuses à travailler.

En calculant autant le navettage que le travail, la semaine professionnelle moyenne du Québécois s’étire aujourd’hui à 50 heures. Quand on ajoute les délais dans les services de santé, la congestion sur les routes et le manque d’aide à l’école pour les enfants en difficulté, il y a de quoi surcharger une journée.

Une heure de moins par jour

De 1990 à 2010, les tâches quotidiennes (professionnelles et domestiques) des parents salariés ont augmenté en moyenne d’une heure par jour. Il leur reste donc une heure de moins par jour en temps libre.

Dans cette course quotidienne, le sablier semble s’écouler plus vite.

Les conséquences sont vastes. Par exemple, on note depuis 2005 une baisse du temps passé à lire aux enfants, ce qui est pourtant une des clés de la réussite scolaire.

Bien sûr, les familles ont plus d’aide, grâce à la création des centres de la petite enfance (1997) et du généreux régime québécois d’assurance-parentale (2006). Cela explique au moins en partie pourquoi les Québécois se disent plus satisfaits que les Ontariens de leur conciliation travail-famille. Le Québec peut en être fier.

Mais cette aide est arrivée en même temps que de nouvelles pressions. Le travail devient un projet d’accomplissement personnel qui ne cesse jamais. Et même si on veut décrocher, c’est difficile. Il y a les courriels, les cellulaires et le patron qui s’impatiente…

Parmi les parents salariés :

50 % ont souvent ou toujours l’impression de courir

37 % sont souvent ou toujours épuisés au souper

56 % ont rarement ou jamais de temps libre

On note une hausse des absences au travail pour des raisons personnelles et familiales. Une hausse des absences pour des raisons de santé et d’incapacité, qui affecte plus les femmes. Et une nette hausse aussi des diagnostics d’épuisement professionnel.

Parmi les parents qui disent éprouver des problèmes de conciliation travail-famille, la moitié éprouvent un niveau élevé de détresse psychologique.

Le lien revenu-détresse est complexe. La détresse est liée aux horaires atypiques ainsi qu’au manque d’autonomie ou de valorisation au travail, qui sont plus fréquents chez les faibles revenus. Mais la détresse est aussi associée au niveau de scolarité – les diplômés universitaires, plus riches, sont aussi ceux qui souffrent le plus de la conciliation.

On parle souvent de la nouvelle génération de millénariaux qui refuserait que leur vie se résume au travail. C’est vrai, mais cela n’explique pas tout. Ils réagissent aussi simplement aux horaires devenus objectivement plus chargés.

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Que peut la politique pour toutes ces familles ? Il n’y a pas de coup de baguette magique. La solution viendra de l’addition de petites mesures inventives.

Le gouvernement Couillard en a proposé deux bonnes : assouplir le régime d’assurance-parentale (RQAP) et ajouter des congés dans la réforme attendue de la Loi sur les normes du travail.

En début de mandat, le gouvernement Couillard songeait à sabrer le RQAP. Heureusement, il voudrait maintenant l’améliorer à coût nul, en permettant aux travailleurs d’étaler leurs congés, par exemple en travaillant quatre jours.

Le Parti québécois veut améliorer l’accès aux CPE, ce qui constitue un gain pour l’égalité des chances et une aide bienvenue pour les ménages aux revenus modestes. Mais pour la conciliation travail-famille, il faudrait aussi assouplir les horaires des services de garde.

Dans ce débat, la Coalition avenir Québec (CAQ) est déphasée. Son député Simon Jolin-Barrette vante le modèle américain et les semaines de 60 heures au boulot. Or, les Québécois travaillent déjà plus que les Américains, et les parents qui travaillent plus de 60 heures sont les moins satisfaits par rapport à leur vie familiale (satisfaction de 62 %, contre 85 % pour ceux qui travaillent de 30 à 40 h).

La CAQ propose de « remettre de l’argent dans les poches des familles ». Or, selon les enquêtes sociologiques, cela ne répondrait pas à leurs besoins. La vie ne se résume pas à l’argent. Il y a sa qualité, dont on commence enfin à parler.

Sources :

Que faisons-nous de notre temps? Vingt-quatre heures dans la vie des Québécois. Comparaisons internationales. Gilles Pronovost, professeur émérite à l’UQTR, 2015

Institut de la statistique du Québec

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