Le lactume

Les planches retrouvées de Ducharme

Le lactume
Réjean Ducharme
Les éditions du passage
246 pages

Ainsi donc la publication de cet inédit de Réjean Ducharme est posthume, puisque l’écrivain nous a quittés cette semaine, trois jours avant son lancement. Cette sortie était déjà un petit événement – Ducharme n’ayant rien publié depuis Gros mots en 1999 – qui sera souligné par une exposition et un spectacle au prochain Festival international de la littérature (FIL). Et c’est devenu en quelque sorte un cadeau d’adieu, dont le titre est dans la même veine néologique que L’océantume.

D’autres que nous, plus spécialistes, jugeront de la qualité artistique des 198 dessins réunis dans ce recueil, mais leur histoire, elle, assez rocambolesque, mérite d’être racontée, et c’est son éditeur Rolf Puls qui, en introduction, fournit les détails.

Les planches ont été envoyées en 1966 à Robert Massin, directeur artistique des éditions Gallimard, avec cette note datée du 17 mars : 

« Monsieur l’éditeur,

Veuillez ne pas trouver insolent que je vous soumette ces dessins. Je ne sais pas plus dessiner qu’écrire. Seulement, est-ce qu’il ne suffit pas d’être de la race humaine pour prétendre parler aux êtres humains ? J’ai mis toute ma liberté et tout mon amour dans ces dessins. Si vous les jugez sans intérêt, ne me les retournez pas. Offrez-les à une jolie femme de ma part.

Vous priant encore de ne pas me trouver insolent

Réjean Ducharme. »

Perplexe, Massin fait suivre le document à Raymond Queneau avec cette note : « Je vous remets ce dossier de dessins que je viens de recevoir de Montréal. Je ne connais pas l’auteur. C’est pour le moins curieux – du pop’art mal digéré ? – mais avec des trouvailles, il me semble. »

Il pouvait bien ne pas le connaître, puisque nous sommes avant la publication de L’avalée des avalés qui fera grand bruit. Le projet restera lettre morte, et restera aussi dans les archives de Massin, qui ne fera le lien qu’en 1995 lors d’une exposition à la maison de la culture Frontenac des « trophoux » de Roch Plante – le nom d’artiste de Réjean Ducharme. Robert Massin retrouvera les dessins dans son fonds d’archives à Chartres pour les montrer à Rolf Puls, qui s’arrangera pour que Claire Richard, la conjointe de Ducharme, les récupère en 2001. Puls souligne joliment ce voyage au dénouement heureux : « Voilà comment Le lactume, parti de Saint-Ignace-de-Loyola, pour Paris, chez Gallimard, et après un long pèlerinage à Chartres, revint finalement à Montréal, à l’adresse de l’artiste, non sans avoir croisé, selon les vœux de l’auteur, une très belle femme, Claire. »

Et cela aura pris finalement 16 ans de plus pour que les lecteurs posent les yeux sur ces dessins, dans un livre qui est justement dédié à Claire, que Ducharme est allé rejoindre près d’un an après sa mort.

On peut même se demander s’il ne s’agit pas en quelque sorte d’un geste d’amour de Ducharme envers sa complice qu’il venait de perdre, celle qui faisait le lien entre lui et le monde extérieur…

Chacun de ces 198 dessins, faits avec des crayons de couleur et pour la plupart abstraits, est accompagné d’une légende typique de l’humour et des obsessions ducharmiennes – en particulier les femmes, et une certaine Isabelle. Entre autodérision et autodénigrement on peut lire : « Pas de quoi être fier de son coup who cares ? », « Si tu trouves ça beau tant mieux pour toi tant pis pour Johnny Rembrandt », « Le plus beau dessin du monde », ainsi que des références à Willie Lamothe, Petula Clark, les Beatles ou Shakespeare. Des exhortations – « Débarque-moi de sur le dos », « Lâche-moi la paix » ou « Ne reste pas pris dans ton drapeau comme un poisson rouge dans son aquarium » et « Ne prends rien au sérieux si tu ne veux pas souffrir si tu ne veux pas jouir ne prends rien au sérieux » – et aussi des expressions comme « vacherie de vacherie » qu’on retrouvera dans la bouche de Bérénice Einberg.

Enfin, dans cet esprit du refus qui le caractérise, il y a les détestations et les adorations, qu’une légende résume assez bien : « Je hais la sécurité, la propreté, le bon, le vrai, le bien et le beau. J’aime le qui-vive. Il n’y a que celui qui est sur le qui-vive qui vive. J’aime les seules vraies choses : les petites choses. J’aime les clés chaudes et les clés froides, les clés laissées sur le calorifère et les clés tombées dans la neige. »

Le lactume est peut-être une nouvelle clé de l’univers de Ducharme, qui sait.

Dans le cadre du FIL

– Exposition du 13 septembre au 1er octobre au salon b - espace culturel (4231 B, boul. Saint-Laurent), de 14 h à 19 h (gratuit)

– Spectacle-lecture Autour du Lactume de Réjean Ducharme, les 23 et 26 septembre au salon b

– Salut à Ducharme ! Au TNM, le 24 septembre à 16 h. Parents, amis et public sont invités à saluer l’écrivain.

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