Opinion Sylvain Charlebois

Déjeuner déséquilibré !

Le petit-déjeuner n’a plus la cote, selon une étude britannique qui révèle que ce dernier ne constitue plus le principal repas de la journée. Puisque le nombre de Canadiens qui ne déjeunent pas a plus que doublé en 15 ans, la place qu’occupe le déjeuner dans nos vies a bien changé.

Une récente étude publiée la semaine dernière dans le British Medical Journal affirme que le déjeuner n’a plus autant d’importance que l’on croit. En effet, les chercheurs s’avancent à dire qu’un individu peut même perdre du poids en sautant le petit-déjeuner. Cette recherche, une méta-analyse de plusieurs études, réfute le concept voulant qu’on soit porté à manger davantage durant la journée si on ne déjeune pas.

Les chercheurs mentionnent que les fabricants de céréales matinales ont inculqué à tort la nécessité de manger un déjeuner complet afin d’atteindre une qualité de vie optimale. Selon les archives, l'expression « le repas le plus important de la journée » remonte à 1917. Appuyées par certains professionnels de la santé, les différentes marques de céréales ont martelé pendant des années aux consommateurs de manger un déjeuner. Mais les résultats de la recherche indiquent qu’une personne ingère 260 calories de moins par jour en moyenne si elle saute le petit-déjeuner.

L’étude suppose qu’une personne compensera le manque de nourriture le matin en mangeant davantage durant le reste de la journée.

Bien sûr, l’étude a déjà reçu son lot de critiques. Plusieurs prétendent que le fait de ne pas manger le matin affectera la capacité de concentration d’une personne, surtout chez les jeunes. De nombreuses études démontrent que le développement physique et mental, surtout chez les enfants, peut être affecté par un manque de nutriments en début de journée. De plus, l’étendue de la recherche n’offre pas le niveau de rigueur auquel on pourrait s’attendre. La méta-analyse ne s’intéresse qu’aux études cliniques ayant duré de 24 heures à 16 semaines. Compte tenu de ces périodes très restreintes, il faut demeurer prudent avant de tirer des conclusions définitives.

De la ferme au bureau

Malgré cela, depuis un siècle, le déjeuner n’a plus vraiment le même rôle. En 1917, pour une population qui s’affairait à des tâches manuelles le matin, à la ferme, en usine ou ailleurs, le déjeuner possédait un caractère essentiel, tandis qu’aujourd’hui, le marché du travail est principalement dominé par les cols blancs effectuant un travail intellectuel et sédentaire. Nos besoins au XXIe siècle diffèrent grandement de ceux du début du siècle précédent. De plus, la recherche en nutrition nous indique que nous sommes tous différents et avons des besoins diététiques uniques. Il relève de l'exagération de prétendre que le déjeuner est essentiel pour tout le monde.

Selon un sondage Ipsos-Reid, deux Canadiens sur cinq ne déjeunent que très rarement, en raison du manque de temps ou parce qu’ils n’ont pas faim du tout. Mais la majorité des Canadiens mangent un déjeuner au moins cinq fois par semaine. Toutefois, un nombre grandissant de Canadiens boycottent le déjeuner en début de journée. En 2003, 7 % des Canadiens ne déjeunaient jamais. La firme de sondage Nielsen a découvert que ce nombre avait grimpé à 18 % en 2018. Donc, le nombre de Canadiens qui sautent le déjeuner semble avoir plus que doublé en 15 ans.

Le constat que le secteur de la restauration rapide dresse nous indique que le déjeuner demeure populaire, mais pas seulement en début de journée.

Plusieurs chaînes telles que McDonald’s et Tim Hortons offrent maintenant le déjeuner tout au long de la journée. Et la demande pour les œufs démontre que la formule porte ses fruits. Les ventes d’œufs, par exemple, ont augmenté de plus de 7 % annuellement au Canada depuis que plusieurs chaînes offrent le déjeuner à longueur de journée. En redéfinissant l’heure de consommation du déjeuner, les chaînes tirent leur épingle du jeu et augmentent leurs recettes. Après tout, le déjeuner représente souvent le repas le moins cher de la journée et l’horaire accommode ceux qui travaillent à des heures inhabituelles.

Autrement dit, le déjeuner ne constitue peut-être pas le repas le plus important, mais l’intérêt pour celui-ci ne s’atténue pas. L’importance que nous portons au déjeuner change, mais il demeure une étape de la journée qui se vit de façon différente d’une personne à l’autre.

* Sylvain Charlebois est également directeur scientifique de l’Institut des sciences analytiques en agroalimentaire.

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