Opinion Gérard Bouchard

Au-delà de la laïcité, un gros défi attend le Québec

Au Québec, les francophones qui se désignaient depuis longtemps comme Canadiens français ont franchi une étape déterminante dans les années 60 en se redéfinissant comme Québécois.

De minoritaires au sein du Canada, ils devenaient majoritaires au sein du Québec et titulaires d’un État. Cette reconversion a inspiré une grande confiance collective qui s’est traduite dans un remarquable dynamisme.

Le nouveau statut engendrait aussi un rapport majorité-minorités appelé à occuper une place centrale dans le devenir de notre société. La gestion de ce rapport investissait la majorité d’une grande responsabilité tout en l’installant dans une relation de pouvoir qu’elle dominait. Depuis près de 60 ans, les Québécois francophones (je me réfère ici aux Québécois issus des Canadiens français – ceux qu’on appelle aussi « de souche ») ont pu ainsi redessiner l’imaginaire national et diriger nos grandes institutions publiques, dont l’État.

Or, dans un texte précédent (« Le rapport majorité-minorités au Québec »), j’ai montré que ce rapport majorité-minorités avait commencé à se transformer sous l’effet d’une transition démographique amorcée lentement depuis quelques décennies. À cause de leur faible fécondité conjuguée avec les apports de l’immigration, le poids de ces francophones baisse dans la population totale. Parallèlement, le poids des minorités ethnoculturelles, concentrées dans la région de Montréal, s’accroît.

Le déclin de la majorité francophone

Quand il fut annoncé, il y a une dizaine d’années, que les Québécois de langue maternelle autre que le français étaient désormais majoritaires sur l’île de Montréal, on a observé une inquiétude très vive parmi les francophones dont je parle. Qu’en sera-t-il dans 20 ou 30 ans, alors que la tendance à la baisse va se poursuivre ?

Faisons un détour du côté des États-Unis. La majorité blanche fut saisie d’une grande angoisse identitaire quand elle a appris vers 2005-2010 qu’elle allait devenir minoritaire, une échéance que certains démographes alarmistes, repris par les médias, ont située (à tort) aux environs de 2050. Cette prise de conscience se traduit maintenant par de vives réactions de défense qui poussent la vie politique vers le conservatisme, suscitent des attitudes de repli, durcissent les relations avec les minorités, accroissent le racisme et alimentent des mouvements d’extrême droite. Donald Trump en est l’une des nombreuses expressions.

Cela dit, et je m’empresse de le préciser, rien n’indique que ce genre de réactions va se reproduire ici. Il est cependant utile de se demander comment la majorité francophone se prépare à son avenir démographique en forme de déclin.

Je crois qu’elle pourrait mieux s’y préparer. Les Québécois francophones, minoritaires à l’échelle continentale, craignent instinctivement et avec raison la fragmentation, la formation de marginalités au sein de la nation. Ils souhaitent donc l’intégration des minorités et des immigrants.

Toute minorité ressent en effet un vif besoin d’unité pour se renforcer et assurer son avenir. Mais alors, n’est-il pas illogique, dans ces conditions, de prendre des initiatives qui aliènent justement nombre de ces citoyens et les incitent à vivre à distance, sinon à se dresser contre la majorité ?

C’est exactement l’effet que risquent de produire des projets comme la charte des valeurs du Parti québécois et le projet de loi 21.

Par ailleurs, sous cet éclairage, on voit bien que l’idée de revenir à la nation canadienne-française (comme certains intellectuels le proposent maintenant) ou celle d’assimiler carrément les Québécois non francophones ne sont pas des solutions. La première option pousserait les minorités et les futurs immigrants à se fondre dans le Canada anglais, la seconde provoquerait un affrontement très dur en plus d’être sûrement vouée à l’échec. Autre illogisme : le gouvernement veut moins d’immigrants alors que l’économie en a besoin.

La véritable solution est évidente. Il faut redoubler d’efforts pour intégrer les immigrants, orchestrer des rapprochements avec les minorités et réduire les tensions. C’est précisément l’esprit de l’interculturalisme. Et c’est le meilleur moyen d’éviter un choc qui pourrait entraîner des conséquences négatives pour notre société.

Réplique à Jean-François Lisée

Dans son texte du 10 mai, Jean-François Lisée soutient que la proposition du rapport Bouchard-Taylor sur les signes religieux est invalidée du fait qu’elle ne s’appuierait pas sur des données de recherche rigoureuses prouvant son admissibilité au regard du droit, critique que j’ai moi-même adressée au sujet du projet de loi 21.

Il y a ici une grande méprise. Taylor et moi avions pour mandat de formuler des recommandations à l’intention du gouvernement en montrant qu’elles étaient opportunes. Nous n’étions pas des ministres ou des juristes chargés de préparer des projets de loi assortis de toutes les mesures nécessaires pour qu’ils passent le test des tribunaux. Ce sont deux exercices très différents.

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