Chronique

Les leçons de français d’Evan Bush

Evan Bush est un homme très occupé ces jours-ci.

Il entame sa neuvième saison comme gardien de l’Impact. Il étudie pour obtenir une maîtrise en administration des affaires. Sa conjointe et lui viennent d’accueillir leur troisième enfant. La famille déménageait cette semaine.

Ah oui. Il prend aussi des leçons de français. À 33 ans.

Evan Bush représente l’exception. Très peu d’athlètes étrangers apprennent la langue française lorsqu’ils s’établissent à Montréal.

Les raisons sont nombreuses. Les joueurs au statut précaire savent qu’ils sont de passage pour quelques mois seulement. Les titulaires, eux, se fondent dans la communauté anglophone. Ils n’ont aucune difficulté à vivre ici en anglais ; près de la moitié des Québécois comprend cette langue, révèle le recensement de 2016. C’est en augmentation constante depuis des décennies.

Puis il y a la prolifération des applications de traduction. Vous êtes en Chine et désirez manger du poulet ? Dites-le en français à votre téléphone. Il le répétera en mandarin dans la seconde. Je vous assure que la traduction anglais-français est tout aussi efficace.

J’étais donc curieux. Pourquoi Evan Bush a-t-il décidé d’apprendre une nouvelle langue si tard dans sa carrière d’athlète ?

« Je viens de signer un nouveau contrat. Je sais que je vivrai ici pour les trois prochaines années. »

« C’est la première fois dans ma vie adulte que j’ai la chance, la sécurité de savoir où je serai à moyen terme. Je me suis dit que ce serait le bon moment d’apprendre le français. » — Evan Bush

Pour ses enfants. Pour ses partisans. Pour ses coéquipiers.

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La fille aînée d’Evan Bush fréquente une école primaire de l’ouest de l’île de Montréal. Elle est inscrite dans un programme bilingue. « Elle apprend le français à un rythme plus soutenu, explique le sympathique gardien de l’Impact dans sa langue maternelle. Bientôt, elle rapportera à la maison des devoirs en français. Des livres à lire. Je souhaite pouvoir être capable de l’aider avec ses leçons. »

Alors Evan Bush s’est mis à la tâche. Après la signature de son contrat, il a téléchargé l’application Babbel et profité d’un essai gratuit de 30 jours. Il a aimé l’expérience. Au point où son agent a contacté l’entreprise pour discuter d’un partenariat. « J’ai un accès illimité pour la prochaine année. Honnêtement, ils ne m’ont rien demandé en retour ! »

Pendant le camp d’entraînement de l’Impact, Evan Bush a poursuivi ses leçons avec assiduité. « Sept jours sur sept, pendant deux mois, dit-il fièrement. Depuis le retour à Montréal, avec la naissance de notre troisième enfant, c’est un peu plus difficile. D’autant que j’ai suivi des cours en ligne pour mon MBA. Je jongle avec tout ça ! »

Justement, comment y arrive-t-il ?

« Je pourrais passer des heures à écouter la télévision, à regarder Facebook ou Instagram. Des fois, j’aimerais ça le faire. Mais apprendre le français, étudier pour le MBA, ça stimule mon esprit. » — Evan Bush

Ces jours-ci, il affirme travailler son français entre 10 et 30 minutes par jour. Il le parle un peu avec d’autres membres de l’équipe. Quatorze joueurs et entraîneurs de l’Impact comprennent le français.

« La première fois, c’était pendant un match préparatoire. Je donnais mes instructions aux défenseurs en français. Des trucs simples : à gauche, à droite. Rudy Camacho et Zachary Diallo ont été pris par surprise. J’étais tordu de rire. À la mi-temps, les deux gars sont venus me demander : “Eh, tu parles français maintenant ?” Je pense qu’ils ont apprécié cette attention. Ça resserre les liens entre les joueurs. »

Cette marque de respect rapproche aussi Evan Bush et les fans de l’Impact. Depuis quelques semaines, il écrit quelques mots en français dans ses messages sur les réseaux sociaux. Ç’a été noté.

« Les fans l’apprécient. Ils m’envoient des messages en ce sens, même si ça m’a pris plusieurs années [à écrire en français]. Ça a de la valeur à mes yeux de pouvoir communiquer avec les fans dans leur langue. »

Et les médias ? « Je ne suis pas encore assez à l’aise pour répondre aux questions en français. Mais j’espère être capable de le faire d’ici la fin de la saison. »

Personne ne lui en tiendra rigueur. Le français, on l’a souvent écrit, est une langue difficile à apprendre. Surtout pour un anglophone qui n’a pas grandi dans un environnement bilingue (Bush vient de l’Ohio). Selon le site spécialisé Ethnologue, qui étudie les langues, seulement 27 % des mots en français et en anglais sont similaires. C’est peu. À titre comparatif, la corrélation français-italien est de 81 % et français-espagnol, de 75 %.

« Je connais beaucoup de mots, mais j’ai de la difficulté à les placer dans la bonne séquence, explique Evan Bush. La grammaire, c’est difficile. »

« Je construis la phrase en anglais dans ma tête, je trouve les mots en français, sauf que souvent, les phrases sont à l’envers. Mais j’en ris ! » — Evan Bush

« Le plus gros de la bataille quand tu apprends une nouvelle langue, c’est de laisser de côté ta fierté et ton ego.

– Et es-tu quelqu’un de fier ?

– Je l’étais davantage quand j’étais plus jeune. Je le suis moins. Évidemment que je suis fier dans certains aspects de mon travail. Mais je suis aussi capable d’autodérision. C’est correct de commettre des erreurs. D’en rire lorsque les autres trouvent ça drôle. Ça donne le bon exemple à mes enfants.

Pas juste aux enfants.

Aux autres athlètes aussi.

Prochain match de l’Impact : le samedi 30 mars, 15 h, à Kansas City

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