CHRONIQUE

Victime courageuse, question douloureuse

La jeune femme à l’origine de la plainte qui a mené au congédiement est aujourd’hui âgée de 20 ans. C’est moi qui ai pris contact avec elle, après avoir recueilli des informations troublantes sur cette triste histoire.

Elle a hésité à me rencontrer. Parce que tout ça est bien douloureux. Parce qu’elle n’avait pas envie de se replonger dans cette histoire. Parce qu’elle n’avait pas envie d’être prise à partie.

Si elle a finalement accepté, en prenant son courage à deux mains, ce n’est pas pour elle. C’est pour les autres femmes. Pour dénoncer la culture du viol dans notre société. Pour dénoncer la culture du silence qui permet l’impunité. Pour rappeler que la prise de parole est une forme de pouvoir pour les victimes. Dans l’espoir que les hommes qui abusent de leur autorité fassent un examen de conscience. « Il faut qu’on se lève. Pas juste les femmes. En tant que peuple, il faut se lever. »

***

Appelons-la Amélie (nom fictif). Jolie jeune femme. Une bonne tête. Dès le début du trimestre, Amélie a eu l’impression qu’elle était devenue la « cible » de son professeur. « C’est un homme qui observait beaucoup et repérait des proies, si je peux le dire comme ça. Celles qui seraient le plus faciles d’approche. Celles qui semblaient avoir un certain intérêt pour lui. »

Amélie trouvait son professeur brillant et très charmant. « Mais ça n’allait pas plus loin que ça », me dit-elle. Elle ne se doutait pas encore à quel point il pouvait être manipulateur. « C’est la subtilité de la manipulation qui était son point fort. »

« Ça commençait par des petits regards de complicité et des petits sourires charmeurs. Quand il voyait qu’il y avait peut-être une attirance, c’était son “go !” »

« Après les clins d’œil et les petits sourires, c’était une main dans le dos à un certain moment, et si la personne recevait bien ça, ça allait un petit peu plus loin. »

— Amélie

Le professeur avait l’habitude de sortir dans les bars avec ses élèves. « Il payait souvent des verres à ses étudiantes. Il en profitait ensuite pour se rapprocher physiquement d’elles. » Bras autour des hanches, main sur les fesses, bises d’au revoir qui se rapprochent de plus en plus des lèvres.

À la fin d’une soirée, le professeur a fait comprendre à Amélie qu’il aurait voulu qu’elle le suive. Elle lui a répondu qu’elle n’allait pas dans la même direction que lui. Trouvant son comportement louche, elle s’est renseignée à son sujet. Elle a entendu dire qu’il y avait déjà eu des allégations d’agressions sexuelles le concernant. « J’ai eu de la difficulté à y croire puisque, selon moi, si ces allégations avaient été vraies, il aurait tout simplement perdu son emploi. Alors, j’ai continué de lui faire confiance. »

Le professeur a continué de charmer la jeune femme. Il lui faisait des compliments. Ils échangeaient sur Facebook. Un soir, dans un party d’élèves auquel il s’était joint, il a offert à Amélie de partager une bouteille qui coûtait cher. « C’était sa technique de dire à chacune de ses proies qu’elle était donc bien spéciale parce qu’il partageait cette bouteille avec elle. »

« Il y a eu des rapprochements physiques un peu brusques, un peu brusqués. On s’est embrassés dans un parc. Déjà là, j’ai senti que c’était trop rapide. C’était presque agressif comme manière de fonctionner. »

Ce soir-là, alors qu’Amélie était en état d’ébriété, elle a senti que le professeur tentait de lui soutirer un consentement hâtif. « Il m’a dit : “On va s’entendre sur quelque chose, c’est absolument certain qu’on va coucher ensemble.” »

Quelques jours après, le professeur a contacté l’élève pour lui demander d’aller prendre un café. Elle y est allée, craignant de le décevoir. Environ une heure avant le rendez-vous, il lui a écrit sur Facebook : « Ne me pose pas de lapin. »

Après le café, ils sont allés dans un parc. « Je me suis sentie comme si mon dos était collé à un mur et que je ne pouvais plus du tout reculer, qu’il était vraiment trop tard. »

Le professeur a longuement parlé de lui. « Il me disait à quel point il était bien dans sa vie sexuelle avec des femmes beaucoup plus jeunes que lui. » Amélie n’était plus du tout intéressée. Il a fini par lui demander : « Alors, on finit ça où ? »

Amélie se sentait prisonnière de la situation. Elle cherchait une façon de s’en sortir en douce. « J’ai répondu : “chez moi”, parce que je savais que mon coloc était présent et que peut-être j’allais réussir à m’en sortir. J’avais peur de sa réaction si je reculais. »

Son colocataire, mal à l’aise avec la situation, a décidé de les laisser seuls. « Je me suis ramassée seule face à ma propre peur de lui dire : “Va chez vous. Je ne peux pas.” C’est arrivé. On a eu une relation sexuelle. Je n’ai pas fait un mouvement. Je n’ai pas fait un son. J’ai enduré la relation sexuelle. »

« Lorsqu’il a eu fini, il a ramassé ses affaires, il est allé prendre une douche. Il s’est rhabillé. Il m’a dit : “Ciao, bye.” Il est parti. »

Amélie se sentait dégoûtée. 

« J’avais du dégoût envers ma propre personne. J’ai perdu du respect envers mon corps. J’ai perdu mon amour-propre. Ce n’est pas une douleur qui passe. C’est un poids constant. J’ai décidé d’enfouir ce poids et de ne pas y penser. Malgré tout, ça reste présent. »

— Amélie

Depuis, il ne se passe pas un jour sans qu’elle y pense. Crise de larmes, anxiété, insomnie, elle vit tout ça. « Je suis à fleur de peau. Ce qui s’est passé, c’est grave. Il faut l’assumer. Ça passe dans ma tête en boucle. »

« Après la douleur de l’agression sexuelle, il y a aussi le poids lié au fait de regarder en pleine face qu’effectivement, j’ai été victime d’agression. »

Après, Amélie dit que le professeur lui a écrit plusieurs fois sur Facebook. Elle ignorait ses messages. Elle trouvait qu’il devenait harcelant. Elle a fini par lui dire qu’elle ne voulait plus le voir. Il a continué à lui envoyer de longs messages. Elle a cessé de lui répondre.

Elle a réalisé peu de temps après qu’il avait joué le même jeu avec une autre élève. La même bouteille qui coûte cher, les mêmes techniques sournoises. « J’ai réalisé que cet homme utilise sa position d’autorité pour manipuler les étudiantes pour arriver à des fins sexuelles. »

Au départ, Amélie ne voulait pas porter plainte. Parce qu’elle avait déjà été victime d’agression sexuelle à l’école secondaire et que lorsque cela s’est su, elle a été intimidée. On lui a dit qu’elle l’avait cherché. « C’était excessivement difficile sur le moral. »

Elle a finalement porté plainte en se disant que si le prof avait agi ainsi avec elle, avec d’autres femmes avant elle et après elle, rien ne l’empêchait d’agir de la même façon avec n’importe quelle autre élève. « Je ne permettrai pas qu’une femme passe au travers des étapes que j’ai dû passer », dit-elle.

Elle est soulagée d’avoir porté plainte. Elle est aussi très satisfaite du sérieux et de la rapidité avec lesquels le cégep a traité son dossier. De la plainte au congédiement, il s’est écoulé moins de deux mois. « Ça n’a pas enlevé la douleur. Elle est encore là. Mais pour les prochaines femmes qui y auraient passé, je suis vraiment contente de l’avoir fait. »

Invoquant le fait qu’un processus syndical est en cours, le professeur congédié, que j’ai joint mardi, n’a pas souhaité commenter les allégations de l’élève. Selon nos informations, il n’a pas reconnu les faits.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.