Inondations 

« Il faut qu’on repense à comment on bâtit nos villes », dit Trudeau

GATINEAU — Il y a lieu de revoir la manière de bâtir dans des zones inondables, estiment des experts et représentants des gouvernements, mais pour l’instant, il sera difficile d’empêcher des sinistrés de reconstruire à des endroits plus à risque.

Les premiers ministres Justin Trudeau et Philippe Couillard ont survolé hier la région de Gatineau pour constater l’ampleur des dégâts causés par la crue des eaux qui a forcé l’évacuation de 2721 personnes à travers la province, dont près de la moitié en Outaouais.

Tant M. Trudeau que M. Couillard ont convenu qu’une réflexion s’imposait quant à la manière de construire à l’avenir, en particulier dans le contexte des changements climatiques.

« Si on a des événements qui sont censés arriver tous les cent ans seulement, qui arrivent toutes les décennies ou tous les deux ou trois ans, il va falloir qu’on repense à comment on bâtit nos villes, comment on prévoit nos infrastructures et ça fait certainement partie de la réflexion qu’on est en train d’avoir maintenant », a déclaré le premier ministre du Canada.

Son homologue du Québec de même que le maire de Gatineau, Maxime Pedneaud-Jobin, ont cependant indiqué qu’ils n’avaient pas l’intention de dire à des sinistrés qu’ils ne peuvent retourner chez eux lorsque l’eau se sera retirée, au motif qu’ils habitent dans une zone inondable.

« Il y a des gens qui perdent des souvenirs, des gens qui perdent des maisons dans lesquelles ils ont travaillé, leurs parents ont travaillé, a déclaré le maire Pedneaud-Jobin hier. Et là, on leur demanderait en plus de perdre leur quartier ? Moi, je ne suis pas prêt à faire ça. On va regarder l’ensemble des options, pour qu’on puisse, par exemple, reconstruire avec de nouvelles normes… »

« À un moment donné, il y a des limites aux sacrifices qu’on peut demander à des gens. »

— Maxime Pedneaud-Jobin, maire de Gatineau, qui rejette l’idée d’empêcher les sinistrés de retourner chez eux lorsque l’eau sera retirée

Des pistes de solution

Cette question avait soulevé un débat en 2011, lorsque le gouvernement Charest avait décidé de permettre à des personnes évacuées lors des inondations à Saint-Jean-sur-Richelieu de rebâtir dans des zones plus à risque.

Pascale Biron et Alain Mailhot, spécialistes en hydrologie à l’Université Concordia et à l’Institut national de la recherche scientifique, avaient tous deux dénoncé la décision du gouvernement du Québec.

Mais ce qu’ils avaient décrit comme un dangereux précédent est devenu difficile à éviter aujourd’hui, disent-ils.

Les deux experts recommandent plutôt un examen en profondeur des façons de faire à la lumière, notamment, des pratiques adoptées ailleurs dans le monde. La professeure Biron parle de mieux informer les citoyens sur l’existence des zones inondables, tandis que son collègue évoque le besoin d’une meilleure cartographie.

Ousmane Seidou, du département de génie civil à l’Université d’Ottawa, renchérit en disant qu’il serait temps de recalculer « toutes les plaines de 100 ans » à la lumière des récents événements et des prévisions à jour sur le plan des changements climatiques.

Tous trois jugent en outre qu’une réforme structurelle s’impose pour remédier au fait qu’il est trop tentant pour les municipalités d’accorder des permis de construction sur des terrains riverains pour récolter d’alléchants revenus fiscaux.

Quant aux constructions existantes, difficile de déloger les résidants, ou même d’empêcher les sinistrés de rebâtir leur maison inondée, conviennent les spécialistes. 

« On ne peut pas passer le bulldozer partout. Mais quand on a une chance de ne pas commettre les erreurs du passé… »

— Alain Mailhot, spécialistes en hydrologie

Les pistes de solution incluent d’offrir de l’aide ou des incitatifs pour permettre à des résidants de se reloger, dit-il. Selon Ousmane Seidou, la question pourrait éventuellement se résumer à un simple calcul de coûts-bénéfices, alors que ce type de phénomènes pourraient aller en augmentant.

Chance

À Norway Bay, petite municipalité à l’ouest de Gatineau, Eric Johnson voit quant à lui d’un bon œil la volonté des gouvernements de réfléchir à la question. Ce résidant de Toronto a dû faire fonctionner trois pompes pendant plusieurs jours pour empêcher l’eau d’atteindre l’intérieur du chalet qu’il a fini de construire en décembre, sur le terrain de ses grands-parents.

« Là où nous nous tenons, à l’origine, il y avait une route », dit-il en regardant la plage de sable qui s’étend entre les grands pins et la rivière des Outaouais. La plage est maintenant bordée de chalets cordés. Malgré la décrue qui se poursuit, l’un d’eux est toujours entouré d’eau.

« Au départ, les résidences n’étaient pas censées être bâties aussi proche de la rivière des Outaouais, dit M. Johnson. Mais parce qu’ils n’avaient pas d’expérience d’inondations, ils l’ont fait. Et maintenant qu’on l’a fait, il est probablement temps de réétudier la question, et d’examiner ce que les premiers ministres Couillard et Trudeau veulent examiner. »

En attendant, le voisin dont la maison est toujours inondée songe à élever son chalet de trois pieds, explique M. Johnson. Pour sa part, il est reconnaissant à la Ville d’avoir insisté pour qu’il construise en respectant la ligne d’inondation de 100 ans – qui s’est presque avérée insuffisante – et de pouvoir maintenant profiter de son nouveau chalet.

Révision des règles en zone inondable dans la région de Montréal

Les règles s’appliquant aux constructions dans les zones inondables de la région de Montréal feront l’objet d’une profonde révision à la suite des présentes inondations.

La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), qui regroupe les 82 villes de la région, a commandé un portrait des inondations printanières afin de revoir l’aménagement du territoire sur les rives de la région. « Il faut tirer des leçons des événements des dernières semaines et mieux se préparer collectivement aux conséquences imprévisibles des changements climatiques », a indiqué le maire Denis Coderre, qui préside la CMM.

Le comité, qui doit rendre son rapport d’ici la fin novembre, devra « revoir les règles applicables aux plaines inondables avec comme principal souci l’amélioration de la sécurité publique, de la santé publique et le bien-être général de la population ».

— Pierre-André Normandin, La Presse

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