Consommation

S’acheter un mode de vie

Des milliers de dollars en produits Apple, des cafés Starbucks parfois deux fois plus chers qu’ailleurs, des souliers Nike personnalisés valant une petite fortune. Les exemples ne manquent pas pour illustrer le comportement des consommateurs, qui semblent prêts à vider leurs portefeuilles afin de combler le troisième besoin fondamental de la pyramide de Maslow : l’appartenance au groupe.

Ce rapport émotif convainc plusieurs consommateurs à payer plus cher pour acheter des produits similaires à ceux des concurrents. « Il existe des différences entre Apple et Samsung, mais l’un est loin d’être dominant par rapport à l’autre », affirme Pierre Balloffet, professeur au département d’entrepreneuriat et innovation à HEC Montréal.

« Des millions de personnes sont pourtant prêtes à payer plus cher pour les produits Apple. Ce qui compte aujourd’hui, ce n’est pas ce que vous faites, mais ce que vous êtes. En achetant un iPhone, on s’achète une image, une expérience », ajoute-t-il.

« C’est aliénant pour les individus de se sentir anonymes au sein de la société de consommation, explique Benoit Duguay, professeur à l’École des sciences de la gestion à l’UQAM. Autant l’humain est féru de liberté, autant il a besoin de communiquer avec ses semblables. Pour se sentir confortables, les gens tentent d’adhérer à un groupe et de se créer un nid douillet.

« Lorsque les rapports avec leur famille et leurs amis sont absents ou limités, les communautés marketing peuvent insuffler ce genre de sentiment d’appartenance. »

— Benoit Duguay, professeur à l’École des sciences de la gestion à l’UQAM

Les communautés marketing s’implantent plus facilement dans certains secteurs. « C’est le cas dans les domaines plus émotionnels », souligne Pierre Balloffet. Par exemple, les vêtements permettent d’exprimer l’appartenance à une génération, une culture ou une communauté.

« J’ai déjà attendu deux heures avec ma fille devant le magasin Abercrombie de New York, poursuit-il. Il fonctionne presque comme une boîte de nuit. Quand elle est entrée, elle se sentait comme dans un temple. À sa sortie, elle m’a immédiatement demandé de prendre une photo d’elle devant le magasin, pour la partager avec son groupe d’amis. Rien n’est plus efficace que ça. »

On retrouve le même phénomène du côté des objets électroniques (Apple), des cafés (Starbucks) et de certains véhicules (Harley-Davidson), mais certains domaines y échappent. C’est le cas de l’industrie alimentaire. 

« Les marges bénéficiaires étant faibles, plusieurs entreprises ne voient pas le bénéfice de créer une communauté, souligne Jordan Le Bel, professeur de marketing alimentaire à l’Université Concordia. Des marques comme Nutella, Chipotle et Whole Foods sont très fortes, mais il faut faire la différence entre une communauté et des entreprises avec des clients hautement fidèles. Une marque comme Sobeys a tenté diverses initiatives, comme le Wikibouffe, mais on est encore loin des communautés comme Harley-Davidson. »

DÉFENDRE SA MARQUE

Les membres d’une communauté marketing sont nombreux à défendre leur marque fétiche sur les réseaux sociaux et dans leurs cercles d’amis. « C’est une façon pour eux de défendre une image d’eux-mêmes », dit Benoit Duguay.

Le principal vecteur de réussite d’une stratégie marketing consiste donc à engager les consommateurs pour qu’ils s’emparent du message et le repartagent.

« Quand les gens choisissent Apple, ils ne font pas uniquement l’achat d’un appareil électronique, ils agissent avec conviction. Ils contribuent au phénomène, au lieu de l’observer passivement. »

— Pierre Balloffet, professeur à HEC Montréal

« Plusieurs consommateurs partagent sur YouTube des vidéos où ils sont en train de déballer leurs achats Apple. Il s’agit d’une mise en scène distinctive qui renouvelle un peu le discours », ajoute M. Ballofet.

L’avènement du web 2.0 a eu pour effet d’engager davantage les membres de certaines communautés et d’obliger les entreprises à les écouter. « Comme les médias sociaux impliquent une diffusion des commentaires à la vitesse grand V et une communication bidirectionnelle directe entre une marque et ses consommateurs, l’entreprise est mise au courant assez vite de l’insatisfaction de ses fans, soutient Claudine Ouellet, chargée de cours en sciences de la consommation à l’Université Laval. La force de la communauté est autant positive que négative. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.