Demande d’action collective contre l’Aréna des Canadiens

Des employés contestent une « violation généralisée » de la loi

Une demande d’autorisation d’exercer une action collective contre l’Aréna des Canadiens, la société qui regroupe les activités de divertissement entourant le Canadien de Montréal, evenko et Tricolore Sports, entre autres, a été déposée hier devant la Cour supérieure pour contester une « violation généralisée » de la Loi sur les normes du travail.

La requête d’une vingtaine de pages met en lumière une série de pratiques usuelles qui contreviendraient à la Loi sur les normes du travail, notamment en matière d’heures supplémentaires impayées et non reconnues. La direction de l’entreprise a déjà fait savoir qu’elle n’émettra aucun commentaire puisque le dossier est judiciarisé.

L’action vise « tous salariés rémunérés sur une base annuelle », à l’exception des cadres, qui ont, depuis le 20 juillet 2017, travaillé pour le groupe « au moins une semaine de plus de 40 heures. » 

La démarche est ouverte aux employés de toutes les propriétés de l’employeur, qui incluent aussi le Théâtre Corona, Osheaga, Heavy Montréal et le restaurant 9-4-10.

C’est une ex-coordonnatrice principale à la rédaction pour le groupe, Joanie Godin, qui réclame le statut de demanderesse dans cette affaire. Elle a été au service de l’entreprise d’octobre 2016 à avril dernier. Mme Godin réclame un peu plus de 4000 $ pour des heures accumulées non rémunérées et des heures supplémentaires impayées, notamment.

La demande soumise par Me Sébastien Paquin-Charbonneau, avocat en droit du travail, cherche à démontrer que l’employeur gère ses employés comme des salariés à l’heure alors qu’ils sont rémunérés sur une base annuelle, c’est-à-dire selon une rémunération fixe déterminée en fonction du nombre d’heures à accomplir par semaine.

Heures supplémentaires « généralisées »

Selon la poursuite, les salariés du groupe exécutent « de manière généralisée et récurrente » un nombre d’heures surpassant la durée d’une semaine normale de travail, fixée dans la loi à 40 heures, « sans être rémunérés » pour les heures supplémentaires. Les heures travaillées ne seraient pas non plus toujours reconnues par l’employeur.

Toujours selon la requête, l’Aréna des Canadiens ne payerait pas ses employés pour les heures liées à leur temps de déplacement, notamment lors des matchs disputés à l’extérieur de Montréal par le Canadien. L’employeur soustrairait aussi systématiquement tous les jours un temps de pause pour les repas, même si l’employé n’a pas pu la prendre.

« Des employeurs comme l’Aréna des Canadiens […] prétendent que la rémunération annuelle serait une exception permettant d’éviter le paiement d’heures supplémentaires. Mais cette façon de faire affecte les conditions de travail, la qualité de vie des salariés et parfois même la santé de ceux-ci. »

— L’avocat Sébastien Paquin-Charbonneau

D’ailleurs, Me Paquin-Charbonneau a expliqué à La Presse qu’il croit que ce genre de pratique serait de plus en plus répandu dans le secteur des communications, du tourisme et du multimédia, par exemple. « On annonce des contrats de 35 ou 37 heures par semaine. Or, l’employé réalise rapidement que, pour garder son emploi, pour performer, il doit fournir 45-50 heures par semaine ou plus », dit-il.

« Souvent, c’est aussi le premier emploi, la première expérience qui sera sur le CV, et les salariés veulent faire leurs preuves », ajoute Me Paquin-Charbonneau. « Pour nous, il apparaît évident que l’employeur doit assumer ses responsabilités et embaucher ou rémunérer de façon conséquente avec ses besoins », ajoute-t-il.

« Contrôle effectif du temps de travail »

Ce qu’exerce l’Aréna des Canadiens est appelé du « contrôle effectif du temps de travail », tend à démontrer Me Paquin-Charbonneau, notamment avec le cas de Mme Godin. Dans la semaine du 30 octobre au 5 novembre 2017, elle aurait réalisé 77,5 heures réparties sur 7 jours consécutifs. L’employeur ne lui aurait reconnu que 59 heures à taux simple.

Ces 19 heures en sus de la semaine régulière de 40 heures ne lui auraient pas non plus été payées en les majorant de 50 %, comme le prévoit la loi. C’est aussi l’employeur qui aurait fixé le moment où l’employée a pu « reprendre » ses heures, également à taux simple, et ce, « sans tenir compte du travail qu’il [lui] demandait ».

Action collective

Cette façon de faire s’appliquerait à « plusieurs dizaines » d’employés « répartis dans toutes les composantes d’affaires » de l’Aréna des Canadiens, prétend la requête.

Puisqu’il est « impossible » de tous les joindre, certains n’étant plus au service du groupe, et puisque d’autres pourraient exprimer des « craintes de représailles », l’action collective est justifiée, est-il écrit. 

« Sans action collective, il est peu probable que tous les membres du groupe envisagent une réclamation individuelle des sommes dues », indique la demande.

L’action collective vise à ce que les employés qui se manifesteront se fassent payer les « salaires et les indemnités dus » et que les « ententes conclues » entre les salariés et l’Aréna des Canadiens « qui seraient contraires à l’ordre public » soient annulées.

Enfin, la poursuite réclame que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) établisse le « salaire horaire habituel » en de telles circonstances pour le remboursement des sommes dues.

L’avis d’Angelo Soares, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM

Banque d’heures supplémentaires

Le professeur titulaire au département d’organisation et ressources humaines de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Angelo Soares n’est pas contre l’idée que les employés accumulent des banques d’heures supplémentaires. « Si ces heures sont bien comptabilisées et bien gérées, ça peut être bon », dit-il. Reste que les heures supplémentaires doivent être « un effort ponctuel » et ne doivent pas « devenir la norme » au sein d’une entreprise. « Si ça devient la norme, ça veut dire qu’il manque de personnel et que l’employeur essaie de faire plus avec moins et ça, ce n’est pas bon. »

Pause-repas

Angelo Soares est d’avis que les moments destinés aux pauses de travail ne sont pas suffisamment réglementés au Canada. Au Québec, la Loi sur les normes du travail prévoit qu’un employeur doit permettre un temps de pause-repas d’une durée de 30 minutes, sans salaire, après une période de cinq heures travaillées consécutives. « Si l’employé mange un sandwich sur le coin de son bureau, ça ne compte pas et il doit être payé », plaide-t-il. Des entreprises retranchent pourtant systématiquement les heures de repas. Il indique d’ailleurs qu’il n’est pas rare que le choix de ne pas s’arrêter pour manger vienne de l’employé. Un phénomène qu’il attribue à « la densification et l’intensification » du travail.

« Prévenir et agir »

Le professeur titulaire de l’UQAM déplore « la tendance » de plusieurs entreprises à « laisser des problèmes organisationnels être traités par le droit ». Selon lui, l’employeur devrait « prévenir et agir » plutôt que de gérer des cas à la pièce qui peuvent aboutir devant le tribunal. « On dirait que des entreprises ne réfléchissent pas à long terme, qu’elles ne pensent pas à l’image de leur organisation. Un problème qui aurait pu être réglé à l’interne et qui se termine dans les journaux, ça vient ternir leur image. Quand on pense à l’argent investi dans les stratégies de dotation, par exemple, c’est un non-sens de ne pas investir dans la prévention d’abus de toutes sortes. »

Une entreprise prestigieuse

Un constat que pose M. Soares est aussi que les employés de grandes organisations prestigieuses possèdent souvent « un engagement plus fort ». Les salariés sont fiers d’y travailler et peuvent percevoir leur travail comme un privilège. Selon le professeur, ces employeurs doivent en être conscients et être « éthiquement et moralement responsables » envers leurs employés pour ne pas « manipuler » leur engagement « ou en abuser ». « Elles doivent prendre en considération l’importance de cet engagement », dit-il.

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