Récit

Six heures pour une caisse de bière

Vermont — L’idée est née après l’achat d’un livre sur la bière dans une librairie du Vermont. Les auteurs du Beer Geek Handbook adoptent un ton tantôt badin, tantôt cynique… sauf lorsqu’il est question d’une bière : la Heady Topper. Là, c’est du sérieux.

Cette bière brassée par The Alchemist, au Vermont, est un produit exceptionnel, selon les auteurs du livre. Les populaires sites Beer Advocate et BeerRate lui ont aussi accordé une note parfaite de 100. De quoi avoir envie de l’essayer, finalement.

L’ennui, c’est qu’on ne se procure cette bière dans un dépanneur du Vermont que si on est très… très chanceux. Pour s’assurer de mettre la main sur une Heady Topper, il faut s’asseoir dans l’un des rares établissements qui en servent, ou encore faire la file lorsqu’elle arrive sur les rayons du brasseur et de quelques détaillants triés sur le volet. Et là encore, elles s’envolent généralement très rapidement.

« Tiens, voilà une idée de cadeau de Noël ! », avons-nous lancé en novembre à une collègue en discutant de cette bière dont nous ignorions encore tout du goût. Mais pour ne pas rentrer bredouilles d’une escapade au Vermont, nous avions besoin d’un plan.

La liste des établissements où The Alchemist achemine sa célèbre bière se trouve sur son site web. Une courte recherche nous permet de constater que le Beverage Warehouse, magasin de Winooski, près de Burlington, ouvre ses portes le jeudi matin à 10 h, en ayant sur ses rayons quelques caisses de Heady Topper. Un arrêt pratique pour les Québécois de la région de Montréal, puisque la boutique est située à un jet de pierre de l’autoroute 89.

« Mieux vaut arriver au moins une heure et demie, voire deux heures à l’avance pour être certain d’en avoir. Noël arrive et les gens viennent vraiment de partout pour en acheter », nous prévient un préposé au téléphone.

À 6 h le jeudi suivant, nous mettons donc le cap sur le Vermont. « On va juste chercher de la bière et on revient », avons-nous déclaré aux douaniers américains. Un passage si court aux États-Unis nous vaut une fouille en règle, mais nous arrivons tout de même devant le magasin à 8 h 30… à temps pour nous assurer une confortable quatrième place en ligne.

En fonction des arrivages, les cinq à dix premières personnes dans la file peuvent repartir avec une caisse de Heady Topper. Les suivantes ont droit à trois, deux puis un seul paquet de quatre bières… ou rien du tout si elles arrivent trop tard.

Derrière nous, les clients qui s’ajoutent viennent d’un peu partout aux États-Unis. L’un d’eux, originaire du Colorado, nous explique avoir retardé la fin d’un voyage d’affaires au Vermont pour rapporter cette bière à la maison. Il est loin en ligne, mais il sera chanceux : ce jour-là, à 10 h 15, toutes les bières s’étaient envolées, mais tous les clients présents à l’ouverture des portes ont pu repartir avec au moins un lot de quatre bières.

Pour 100 $US chacune (environ 135 $CAN), notre collègue et nous repartons toutes les deux avec une caisse de Heady Topper. Avant de reprendre la route, nous en avons aussi profité pour ajouter quelques bières locales dans notre coffre.

Au retour, nous déclarons nos achats à la frontière et payons les droits de douane et les taxes. Un passage inévitable, puisqu’en séjournant à l’étranger moins de 48 heures, les voyageurs canadiens ne peuvent pas rapporter gratuitement de l’alcool au pays. Nous patientons une vingtaine de minutes au comptoir des douaniers, et nous pouvons repartir avec une trentaine de dollars en moins dans nos poches.

Ce n’est qu’un mois plus tard, après le dépouillement de l’arbre de Noël, que nous avons pu enfin constater si cette bière valait le voyage de six heures au total, un peu plus de 160 $ d’investissement… et toute la patience d’attendre de l’offrir en cadeau pour la goûter.

La réponse ? Oui, absolument ! La légende autour de la Heady Topper place les attentes bien haut, bien entendu. Si elle n’a pas fait l’unanimité chez nos convives, les arômes fruités de cette double IPA et sa complexité en font un produit d’une rare qualité. Et puis, au-delà des notes parfaites, il y a le contexte : derrière chaque gorgée, tout le bonheur de ce voyage improvisé entre collègues et l’ambiance festive qui accompagne invariablement l’ouverture d’une Heady Topper.

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