Opinion  Environnement

Un Titanic climatique

Notre société, particulièrement ses médecins, doit réaliser l’ampleur de la crise climatique.

Au Sommet des Amériques à Toronto, le 8 juillet dernier, Al Gore décrivait ainsi les changements climatiques (CC) : « Regardez ce que mère Nature nous montre en Californie : pénurie d’eau avec bouleversements économiques et politiques par disparition des neiges de la Sierra Nevada ; immenses lacs vidés aujourd’hui, calés en petites rivières ; sécheresse dévastatrice du potager planétaire ; feux ayant détruit 22 000 hectares de forêts et fait fuir 13 000 migrants climatiques ».

Même les séquoias, gentils géants croissant sans menace depuis des millénaires, furent menacés de destruction. L’aspect santé, me direz-vous ? Direct et indirect.

DIRECT : 

Depuis 1850, nous respirons un cocktail de gaz toxiques, métaux et particules fines émis par les combustibles fossiles, avec un pic dans les années 50 en Amérique du Nord, pic qui se vit aujourd’hui dans les pays émergents. Les connaissances sur les effets de ces nanoagresseurs aériens que nous respirons à la cadence de 10 à 20 kilos d’air par jour se sont grandement raffinées.

De l’utérus à la fin de la vie, les polluants atmosphériques inhalés provoquent stress oxydatif et inflammation systémique entrainant diabète, hypertension, dyslipidémie, calcifications artérielles, athérosclérose et thrombose, d’où plus d’accidents cardiovasculaires. Les pics de smog sont dévastateurs : 12 000 décès lors du Great London Smog de 1952, amenant le premier Clean Air Act de l’humanité. Avec le smog continu à Pékin, on prévoit 2 millions de morts excédentaires en Chine.

L’OMS a tranché : en 2012, la pollution de l’air a causé 7 millions de décès excédentaires, une mort sur 8. Une mortalité à 80 % cardiovasculaire, d’où l’intérêt du cardiologue. La pollution est la principale cause de maladie et la première cible de prévention dans le monde. Au Canada ? La pollution est la cause de 20 000 décès excédentaires, dont plus de la moitié cardiovasculaire, et a coûté plus de 9 milliards en soins de santé en 2008. J’estime ces chiffres conservateurs, car la maladie vasculaire était beaucoup plus rare, sinon inhabituelle avant l’ère industrielle.

INDIRECT : 

La température, c’est de l’énergie. En ajoutant 2 petits degrés à la gigantesque échelle de la marmite Terre, tout va brasser. En fait, on anticipe 2,6 à 4,8 degrés, si rien ne change. Les Katrina à 150 milliards de dommages se multiplieront. Le CO2 rend nos océans acides, compromettant la base de la vie.

Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, nous met en garde de la crise financière amorcée. Dans un discours au Lloyd’s de Londres, Carney révèle que les réclamations pour les dommages climatiques ont triplé depuis 1980. Les pertes de l’industrie de l’assurance ont quintuplé à 50 milliards. Il s’agit d’un phénomène en expansion, d’où le plaidoyer de Carney pour la réduction des GES. Le système économique sera ébranlé, comme prédit par le Rapport Stern, d’où la fragilisation des systèmes sociaux, incluant la santé.

Le centre Ouranos estime que les dépenses en santé inhérentes aux CC seront, au Québec, de 600 millions par an, soient 50 milliards d’ici 2050. L’OMS estime à 250 000 décès annuels excédentaires liés aux CC avec leurs effets prévisibles à ce jour. La prestigieuse revue médicale The Lancet a publié en juin 2015 une édition spéciale sur la santé et les changements climatiques. Des dizaines d’experts d’Europe et de Chine y présentent un résumé analytique dont les points majeurs se déclinent comme suit : 

– les CC sont la principale urgence médicale du XXe siècle ;

– les CC risquent de causer la perte des gains des 50 dernières années en santé publique ;

– les CC perturberont les infrastructures et ressources en eau et aliments jusqu’à des crises et pénuries, d’où la hausse de maladies.

– The Lancet interpelle spécifiquement les médecins et hôpitaux pour mener la riposte aux CC.

Sur le modus operandi des grandes sociétés médicales, The Lancet publie 10 grandes recommandations de santé environnementale. Parmi celles-ci, soulignons : l’investissement en recherche environnementale et en santé ; la construction de cités carboneutres et l’augmentation d’espaces verts ; le délaissement des combustibles fossiles et l’investissement rapide dans les énergies renouvelables ; l’augmentation de la collaboration entre les ministères de la Santé et les autres administrations pour intégrer les considérations de santé et d’environnement à toutes les stratégies gouvernementales et la protection de nos écosystèmes.

Le Titanic aurait pu éviter la catastrophe en déviant sa course de quelques degrés. De même, il nous faut aussi corriger la course de la Terre de quelques degrés (Celsius !) pour éviter la catastrophe climatique. C’est un programme vaste, mais stimulant : protéger l’humanité par une nouvelle approche alliant à la fois l’écologie et l’économie, l’éconogie.

* François Reeves est cardiologue d’intervention et professeur agrégé de médecine à l’Université de Montréal. Il est aussi auteur de Planète Coeur – santé cardiaque et environnement.

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