Mode de vie

L’improbable cohabitation

Emmy et Léa vivent en garde partagée, sans jamais faire leurs valises. Comment est-ce possible ? Visite d’un triplex de Rosemont que se partagent quatre enfants et quatre adultes. 

« Quand je me fais de nouvelles amies et que je leur raconte comment nous vivons à huit dans la même maison, elles sont perdues, raconte Emmy. Quand elles viennent chez nous, là elles comprennent. » 

Par une belle soirée de début d’été, Emmy, 15 ans, et sa sœur Léa, 17 ans, nous ont reçu dans leur repaire au deuxième étage d’un triplex pour nous expliquer leur mode de vie un peu spécial. Pour l’occasion, toute la maisonnée s’était rassemblée à « l’étage des enfants » : les parents avec leurs conjoints respectifs, ainsi que le demi-frère et la demi-sœur. 

Leur père, Frédérick Tran-Khanh, sa conjointe Émilie Sabrie et leur fille Laurence, 5 ans, habitent le rez-de-chaussée. 

Leur mère, Julie Hamel, son conjoint Sylvain Rancourt et leur fils Elliot, 8 ans, habitent au troisième. 

Un escalier a été percé entre le rez-de-chaussée et le deuxième. Un nouveau vestibule sert d’entrée commune pour le deuxième et le troisième. À l’intérieur, les portes ne sont jamais verrouillées. « Il y a vraiment une belle dynamique dans la maison », dit Léa. Chaque jour, les petits rejoignent les grandes au deuxième. Lors des anniversaires, tous les habitants du triplex se retrouvent autour de la même table. 

ACHAT ET SÉPARATION 

L’histoire de cette famille reconstituée débute par une rupture en 2003. Quelques mois à peine après avoir acheté un triplex dans Rosemont, Julie et Frédérick se séparent. Ils décident de garder le triplex en commun pour éviter les pertes financières liées à une revente rapide. Au début, ce sont les parents qui font leurs valises chaque semaine pour aller dormir ailleurs, laissant l’ex-conjoint et les filles dans le logement du rez-de-chaussée. 

Après quelques mois à vivre de cette façon, Julie part en appartement. Les enfants vivent une semaine avec elle, une semaine avec leur père. Trois ans s’écoulent, et le logement du troisième se libère. Julie y emménage.

« Nous nous sommes dit que si ça ne marchait pas, alors on vendrait le triplex. »

— Frédérick Tran-Khanh

Mais ça a marché. Les filles partagent une chambre chez leur père et une autre chez leur mère. Tous les vendredis, vers 16 h, elles font leur petite valise et changent d’étage en franchissent l’escalier de fer forgé devant le triplex. Les éducatrices du service de garde de l’école située en face assistent à ce déménagement hebdomadaire avec un sourire en coin. Les années passent, les ex-conjoints forment de nouveaux couples. Chacun est parent une nouvelle fois.

La cohabitation et la garde partagée se déroulent bien, mais tout ce beau monde vit un peu plus à l’étroit. En 2014, c’est au tour du locataire du deuxième étage de partir. Julie et Frédérick, qui se partagent encore la propriété du triplex plus de 12 ans après leur séparation, décident ensemble de sacrifier un revenu de location pour donner à leurs adolescentes chacune une chambre, dans un logement aménagé pour elles. Le deuxième étage devient la zone des ados, mais aussi le lieu de rencontre des quatre enfants qui savent que leurs parents ne sont jamais bien loin. « Quand tous les enfants se retrouvent entre eux, c’est la fête ! », dit Julie. 

INTIMITÉ ET COLLÉGIALITÉ

Chaque couple respecte l’intimité de l’autre. Les décisions entourant l’entretien de l’immeuble sont prises en collégialité. Tous sont gagnants, surtout les enfants. Les ados prennent la douche, le déjeuner et le souper une semaine chez papa, l’autre chez maman. « Elles ne sont pas trop mêlées là-dedans, dit leur père Frédérick. On a des consignes assez ouvertes. L’aide aux devoirs de mathématiques, c’est chez papa. Pour les devoirs de français, elles vont chez maman. Elles ne se gênent pas. » 

Les plus jeunes enfants, Laurence et Elliot, ne se gênent pas non plus pour circuler d’un étage à l’autre. Alors que les couples vivent en intimité sur leur étage respectif, les enfants vont trouver réconfort où bon leur semble. « Les plus petits vont chez leurs grandes sœurs pour aller fouiner ou pour faire un petit câlin, raconte Frédérick. On ne veut pas empêcher ça. » 

« Une des clés de cette réussite, c’est qu’on a pris notre temps, dit Julie. L’année de notre séparation, je ne crois pas que la cohabitation dans le triplex aurait été une bonne idée. Les choses se sont faites naturellement. » Si naturellement que lorsque Laurence et Elliot ont dessiné leur famille pour la première fois, quatre adultes et quatre enfants sont apparus sur la même page.

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