Thérapies cellulaires et géniques

Conçues en labos, bientôt dans nos hôpitaux ?

Réparer notre ADN. Se soigner avec nos propres cellules plutôt qu’avec des médicaments. Régénérer nos tissus avec des cellules souches. Les thérapies cellulaires et géniques s’apprêtent à quitter les labos pour débarquer dans les hôpitaux, soulevant toutes sortes de questions éthiques, réglementaires et économiques. Aujourd’hui, à Montréal, des experts tenteront de trouver des réponses dans le cadre d’un forum spécial. La Presse s’est entretenue avec le président de l’événement, le Dr Denis Claude Roy.

Pourquoi un tel forum sur les thérapies cellulaires et géniques ?

Parce que la science avance rapidement. Les études sont en cours, il y a de grosses sociétés qui sont là-dedans. D’ici un an, deux ans, ces traitements vont être accessibles aux patients du Québec. Il faut être prêt, il faut s’adapter.

Le forum est organisé par CellCan, le réseau canadien de médecine régénératrice et de thérapie cellulaire. En discutant, on a réalisé qu’il avait beaucoup de conférences scientifiques, mais peu d’événements qui réunissaient les acteurs transformant les découvertes scientifiques en traitements utilisés, commercialisés et ayant des retombées économiques. Ce sont les acteurs de toute cette chaîne qu’on a voulu réunir pendant le forum.

Vous parlez de thérapies cellulaires, de médecine régénérative, de thérapies géniques. De quoi s’agit-il exactement ?

Depuis des années, on utilise les médicaments pour traiter différentes maladies. L’idée de la thérapie cellulaire, c’est d’utiliser plutôt les cellules. Vous et moi avons des cellules qui ont évolué pendant des milliards d’années et qui sont capables d’éliminer les cellules cancéreuses, par exemple. On peut penser à des thérapies qui prennent avantage de ces cellules et font même augmenter leur potentiel anticancéreux.

Autre exemple d’avancée : quelqu’un fait un infarctus du myocarde, et son cœur ne pompe pas bien parce que le muscle cardiaque est endommagé. On va alors isoler les cellules souches du sang du patient. On peut ensuite activer ces cellules pour les rendre plus efficaces, et même les modifier génétiquement pour qu’elles disent aux vaisseaux sanguins du cœur de rester ouverts. Puis on les réinjecte dans le cœur pour régénérer le muscle cardiaque. C’est là qu’on parle de médecine régénérative.

En parallèle, on a maintenant des outils très puissants, comme CRISPR-Cas9, qui permettent de réparer l’ADN en remplaçant des morceaux problématiques par des morceaux sains.

Où se situent le Québec et le Canada dans ces domaines ?

Nous sommes à l’avant-garde. On a vraiment des chefs de file internationaux chez nous. C’est méconnu, mais c’est au Canada qu’ont été découvertes les cellules souches. Ce qu’il faut faire, maintenant, c’est intéresser les gens de l’industrie. Pour ça, il faut que les chercheurs sachent comment cogner aux portes. Beaucoup de découvertes restent dans les journaux scientifiques et il ne faut pas que ça arrive, notamment pour les patients. Si on développe nous-mêmes les thérapies, on va pouvoir les déployer à meilleur coût que si on attend toujours après les États-Unis ou d’autres pays pour les commercialiser. C’est pour ça qu’on a invité des gens qui ont créé des entreprises pour qu’ils donnent leur point de vue.

Ces thérapies, justement, vont coûter cher. Pourra-t-on se les payer ?

C’est une question importante. D’abord, pour parler de commercialisation, il va falloir parler de simplification. Pour l’instant, ces avancées ont été développées en laboratoire. Elles sont très manuelles et souvent pas optimales. Il faut automatiser les processus, trouver des façons de faire efficaces, contourner les problèmes de production.

Oui, les coûts vont être élevés, mais ces thérapies vont changer la façon dont on aborde les problèmes. Disons qu’on a un traitement qui coûte plusieurs centaines de milliers de dollars, mais qui fait en sorte qu’on n’a plus besoin de payer pour le patient parce qu’il est guéri… Ça change la donne. C’est le genre de choses qui devra faire partie du calcul.

Qu’en est-il des enjeux éthiques et réglementaires ?

Les gens de Santé Canada vont être présents au forum pour nous parler de réglementation. Donner des cellules, ce n’est pas comme donner des médicaments. Il va falloir adapter toute la réglementation. Pour ce qui est des enjeux éthiques, je vous donne un exemple. Pour des questions d’efficacité, il est possible qu’on prenne la cellule de quelqu’un et qu’on veuille l’injecter non pas seulement à cet individu, mais à 200 autres patients. Ça soulève toutes sortes de questions. Et ces questions, il faut commencer à se les poser dès aujourd’hui.

Le Dr Denis Claude Roy est directeur général de CellCan, réseau de chercheurs canadiens en médecine régénératrice et en thérapie cellulaire. Il est aussi directeur scientifique du centre de recherche de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont et professeur à l’Université de Montréal.

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