Chronique

2017, l’année des replis

Il y a 100 ans, le monde a changé.

L’année 1917 a été marquée par la révolution d’octobre, qui a préparé la voie à l’avènement de l’Union soviétique, superpuissance qui définira les relations internationales pendant près de sept décennies.

Cette même année, les États-Unis sortaient pour la première fois de leur isolationnisme pour s’engager dans la guerre qui déchirait l’Europe.

C’est également en 1917 que Lord Balfour, le ministre des Affaires étrangères britannique, posait les jalons de la création d’un « foyer pour le peuple juif en Palestine ».

Plus que de simples évènements, il s’agit de bouleversements de fond qui posent les jalons de ce que sera le XXe siècle.

Un siècle plus tard, l’année 2017 nous propulsera-t-elle vers des mutations aussi profondes ? C’est ce que se demande le journaliste et écrivain français François Reynaert, dans un dossier que le magazine L’Obs consacre à l’année charnière qu’a été 1917.

Poussons la question un peu plus loin : quels sont donc ces grands changements en train de redessiner notre monde ? Quels phénomènes des observateurs de l'avenir verront-ils émerger dans le magma de nos actualités ?

Je me risque à en suggérer deux. L’érosion de tous les mécanismes érigés à l’issue de la Seconde Guerre mondiale pour protéger les droits des civils en temps de guerre, et ceux des réfugiés que ces mêmes conflits chassent de leur foyer. Et le déclin de la démocratie grugée par la montée des mouvements populistes et autoritaires.

« Les démagogues menacent les droits de la personne », s’alarmait, jeudi, le directeur exécutif de Human Rights Watch, Kenneth Roth, dans le tour d’horizon annuel dressé par son organisme.

« Nous assistons à l’émergence de leaders politiques qui prétendent parler au nom du peuple et qui dressent les gens les uns contre les autres pour gagner en popularité. »

— Kenneth Roth, en entrevue téléphonique

Donald Trump est un flamboyant spécimen du genre. Mais il n’est pas le seul. Au cours des prochains mois, des élections auront lieu aux Pays-Bas, en France et en Allemagne. Dans le premier cas, le chef du Parti pour la liberté, Geert Wilders, récemment poursuivi pour incitation à la haine, cartonne dans les sondages qui placent son parti en première place dans les intentions de vote.

En France, Marine Le Pen a de bonnes chances de se hisser au deuxième tour de la présidentielle, tandis que le mouvement populiste Alternative pour l’Allemagne (AfD) a le vent dans les voiles en Allemagne, où un scrutin législatif aura lieu en septembre.

L’Occident a longtemps été le bastion de la démocratie et du respect des droits de la personne, souligne Kenneth Roth. « Quand les populistes considèrent les droits de la personne comme des obstacles à leur conception de la volonté de la majorité, ils ne tardent généralement pas à s’en prendre à quiconque n’est pas d’accord avec leur objectif », avertit-il dans son introduction au rapport 2017 de HRW.

Parallèlement à la menace populiste, les régimes autoritaires deviennent de plus en plus brutaux. À commencer par celui de Recep Tayyip Erdogan, qui est en train de museler la Turquie. Celui d’Abdel Fattah al-Sissi, qui a enfermé les Égyptiens dans une dictature pire que celle qu’ils avaient rejetée en 2011. Celui du dirigeant chinois Xi Jinping, qui pourfend toute dissidence avec une ferveur inégalée depuis le soulèvement de la place Tiananmen, en 1989.

Cela sans oublier Vladimir Poutine en Russie. Ou encore Rodrigo Duterte, le président philippin qui massacre sa population sous prétexte de lutter contre les narcotrafiquants.

D’un côté, la montée des démagogues populistes qui carburent aux discours de rejet et de repli sur soi. De l’autre, un glissement dictatorial. Voilà ce qui frappera peut-être les historiens du XXIIe siècle quand ils ausculteront les turbulences d’aujourd’hui.

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L’autre grand phénomène, c’est l’effritement progressif des protections adoptées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pour éviter la répétition de l’horreur.

Cela a donné les conventions de Genève de 1949, établissant les protections des prisonniers de guerre et des civils en temps de conflit. Ou celle de 1951, qui protège ceux qui sont chassés de chez eux par les bombes.

Ces conventions existent toujours, du moins dans le texte. Mais en pratique, elles ont été joyeusement bafouées au cours de l’année qui vient de s’achever. 

Hôpitaux et écoles ont été massivement bombardés en Syrie et au Yémen, devant des institutions internationales impuissantes. Quant aux réfugiés que ces conflits ont lancés sur les routes, seuls les plus rapides ont pu bénéficier du droit d’asile. Les autres se sont cogné le nez à des portes fermées.

Durement touchée par les frappes contre ses installations, l’ONG Médecins sans frontières a fait appel au Conseil de sécurité de l’ONU pour qu’il réaffirme la protection des missions médicales.

Celui-ci a voté à l’unanimité le principe de cette protection. Oui, mais comment mettre tout ça en œuvre ? À cette étape, les beaux principes se sont évaporés et le vote n’a pas eu lieu…

Voilà qui illustre « la faillite et la paralysie des institutions multilatérales », dénonce la présidente de MSF, Joanne Liu. Elle cite à titre d’exemple le sommet organisé en septembre, à l’ONU, à l’initiative de Barack Obama, sur la question des réfugiés.

Une conférence qui, selon Joanne Liu, a donné lieu à beaucoup de mots, mais peu de gestes. « On n’a même pas réussi à empêcher que des réfugiés mineurs soient placés dans des centres de détention. »

Comment empêcher cette érosion de se poursuivre ? Comment empêcher l’inhumanité de gagner du terrain ?

Kenneth Roth et Joanne Liu en appellent aux citoyens de la planète. À moi. À vous. À ceux qui votent. Et à ceux qui ont encore le pouvoir de protester et de faire pression sur leurs dirigeants.

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