Duel économique

La santé : un problème d’organisation ou de financement ?

À la demande de Débats, l’Institut économique de Montréal et l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques ont accepté de s’affronter dans un premier duel économique.

La santé est le thème abordé aujourd’hui.

Duel économique

C’est l’organisation, stupide !

L’argent n’a jamais manqué dans le système de santé québécois

L’Institut économique de Montréal (IEDM) est un organisme de recherche et d’éducation indépendant, non partisan et sans but lucratif, qui alimente les débats sur les politiques publiques au Québec et partout au Canada en proposant des réformes créatrices de richesse et fondées sur des mécanismes de marché.

En 30 ans, les dépenses du gouvernement du Québec en santé sont passées de 15 à 37 milliards, en dollars d’aujourd’hui. Pendant que la population augmentait du quart, le coût de notre système de santé a plus que doublé.

Cette tendance était aussi présente pendant la soi-disant période d’« austérité ». Les chiffres de Statistique Canada montrent une augmentation de ces dépenses depuis 2008 qui est supérieure chaque année à l’inflation et à la croissance démographique. Ceux de l’Institut canadien d’information sur la santé montrent une baisse en termes réels de moins de 1 % en 2012 et de moins de 0,5 % en 2014, et une augmentation pour le reste de la période.

Le portrait global est que nous dépensons toujours plus, plus, plus. Et que, si rien ne change, le ministère de la Santé va finir par avaler tous les autres.

Le Québec est également dans la moyenne canadienne depuis de nombreuses années pour ces mêmes dépenses, tandis que le Canada est un peu au-dessus de la moyenne des pays développés, selon les données de l’OCDE. Il n’y a donc rien qui puisse soutenir une quelconque thèse du sous-financement.

Le cas des États-Unis permet d’enfoncer le clou une fois pour toutes sur la question du financement. Les dépenses par habitant sont les plus élevées de tous les pays développés, tandis que l’accès aux soins et les résultats cliniques sont parmi les pires. Ce n’est pas non plus une question de « privé », puisque les dépenses publiques sont plus élevées qu’ici.

Assez de médecins et d’infirmières ?

On a parlé d’argent. Qu’en est-il des autres ressources ? Toujours selon les données de l’OCDE, le Canada est sous la moyenne quant au nombre de médecins par habitant. Est-ce que cela peut expliquer une partie de nos difficultés ? Peut-être, mais ce n’est pas tout, d’autant plus que le Québec peut compter sur plus de médecins, en proportion, que le reste du Canada.

Le Royaume-Uni a un ratio de médecins semblable au nôtre et on y accède plus facilement aux soins. Une comparaison récente des systèmes de santé de 11 pays développés par le Commonwealth Fund, une fondation américaine, donne d’ailleurs le premier rang au système britannique. Le Canada est au 9e rang au total et 10e pour l’accès. Le Québec compte d’ailleurs passablement plus d’infirmières par habitant que le Royaume-Uni (et un peu plus que le reste du Canada), et ça ne semble pas nous aider.

En utilisant les données du Commonwealth Fund, notre Commissaire à la santé et au bien-être a constaté que le Québec était derrière tous les pays recensés, l’Ontario et l’ensemble du Canada pour l’accès à un médecin ou une infirmière le jour même ou le lendemain, l’accès à un spécialiste, l’attente pour une intervention chirurgicale élective et – sans surprise – l’attente aux urgences, qui ont déjà été qualifiées de « pires de tout le monde occidental ».

Organisez-vous !

Le Québec dépense autant qu’ailleurs et n’a pas moins de médecins ou d’infirmières que bien des endroits qui font mieux en matière d’accès aux soins, à commencer par la province voisine. Il est où, le problème ?

Le défi de garder sous contrôle l’augmentation des dépenses de santé est un enjeu planétaire. Il y a quelques années, l’OCDE a analysé dans cette perspective les forces et les faiblesses des systèmes de santé de plusieurs pays développés. Elle avait conclu que l’espérance de vie à la naissance pouvait être améliorée en moyenne de plus de deux ans si les systèmes de santé des pays recensés devenaient aussi efficients que les plus performants, sans qu’il soit nécessaire d’augmenter les dépenses. En comparaison, une augmentation des dépenses de santé de 10 %, sans aucun autre changement, n’aurait augmenté l’espérance de vie que de trois à quatre mois.

Avant de penser à dépenser davantage, il est urgent de mieux utiliser les énormes sommes englouties chaque année.

Le Commissaire à la santé et au bien-être est lui aussi arrivé à des conclusions semblables. Pour reprendre les mots utilisés par ce défunt chien de garde, aboli par le ministre actuel, « les difficultés du système ne semblent pas liées à une enveloppe budgétaire insuffisante, à un manque de ressources humaines et encore moins à un manque de ressources matérielles. Elles seraient plutôt liées à l’organisation des soins et des services et à la répartition des ressources financières et humaines ».

Une meilleure organisation doit-elle passer par une plus grande mainmise du Ministère ? Au contraire ! Le réseau dans son ensemble devrait être décentralisé et les établissements plus autonomes. Les hôpitaux devraient être financés à l’activité, ce qui les inciterait à prendre plus de patients. Enfin, des indicateurs de performance devraient être facilement accessibles, et le système devrait être ouvert à la mixité et à la concurrence, comme cela se fait partout ailleurs.

Duel économique

Les trois démons du système de santé

Fondé en 2000, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) est un organisme à but non lucratif, indépendant et progressiste, qui produit des recherches sur les grands enjeux de l’heure et diffuse un contre-discours aux perspectives que défendent les élites économiques.

Les problèmes qui minent le système de santé et de services sociaux du Québec ne sont pas liés à la quantité d’argent qu’on y injecte. Avec un budget de 40 milliards correspondant à plus de 10 % du PIB, nous y consacrons des ressources considérables. C’est notre façon d’attribuer ces ressources et d’organiser le système qui pose problème. Nous identifions plus exactement trois maux dont souffre le réseau sociosanitaire.

Premier problème : statut des médecins

Plutôt que d’être des salariés comme les autres professionnels de la santé rémunérés par le gouvernement, les médecins ont obtenu le statut exceptionnel de travailleurs autonomes. À plusieurs égards, c’est un non-sens. Le médecin est entouré de travailleuses salariées, il utilise les installations publiques ou est généreusement financé pour faire fonctionner les siennes, et, avec la RAMQ comme unique client, n’a pas à se soucier de se tailler une place sur le marché.

À ce statut d’exception, qui nuit à la collaboration avec leurs collègues et les gestionnaires, s’ajoute la fameuse rémunération à l’acte qui induit une pression productiviste, désincite à la délégation d’actes ou à la recommandation de patients et entraîne une lourdeur bureaucratique imposante dont bien des médecins souhaiteraient être libérés ; sans compter la RAMQ qui admet ne même plus être capable de garantir la validité des actes médicaux qu’elle rembourse.

Puis vient la question de la rémunération des médecins qui frise désormais l’absurde. Mentionnons seulement que les médecins nous coûteraient jusqu’à 4 milliards de moins s’ils étaient rémunérés selon un ratio similaire à celui des autres pays de l’OCDE, soit tout de même trois ou quatre fois le salaire moyen.

Deuxième problème : le financement privé

Fait méconnu, près de 30 % des dépenses de santé au Québec sont privées. C’est nettement plus que des pays comparables comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France ou les pays scandinaves où cette proportion oscille entre 15 % et 20 %. Or, en santé, le privé coûte cher et ne parvient pas à répondre adéquatement aux besoins de la population.

Au Québec, le régime hybride public-privé d’assurance-médicament illustre à petite échelle cette dysfonction.

En choisissant ce type de régime en 1997, nous nous sommes dotés d’un mécanisme qui garantit la rentabilité des régimes privés qui accaparent la population active et laisse l’assureur public se débrouiller avec les « restants ». Le résultat est inefficace en termes de coût, d’accessibilité et d’équité, et la logique, intenable.

Comme aucun des acteurs de ce régime hybride ne peut ou n’essaie de négocier les prix des médicaments à la baisse, leur coût par habitant est 20 % plus élevé que dans l’ensemble du Canada et 80 % plus cher que la moyenne de l’OCDE. Un régime entièrement public nous permettrait d’économiser près de 4 milliards de dollars.

Troisième problème : la « gouvernance entrepreneuriale »

Ce changement de paradigme administratif consiste à reproduire dans le secteur public les méthodes de gestion de l’entreprise privée. L’État québécois s’est lancé dans cette direction au tournant des années 2000.

Or, si les effets délétères de l’austérité, de la pénurie de personnel et du minutage des moindres gestes des travailleuses du réseau sont bien connues, on ne tient pas compte de l’impact redoutable du sentiment de dépossession vécue par les populations vis-à-vis d’institutions publiques censées leur appartenir lorsqu’elles rompent avec une approche démocratique des services.

Au Québec, les gouvernements ont aboli les instances participatives et toutes les voix potentiellement discordantes au sein du réseau de la santé : du Commissaire à la santé et au bien-être jusqu’à l’AQESSS (qui n’avait pourtant rien d’une contestataire) en passant par des centaines de C.A. indépendants. D’un système pensé pour porter les préoccupations des communautés locales et l’expertise du personnel soignant sur le terrain « vers le haut », on s’est retrouvé avec un système ultra-centralisé qui impose ses vues en fonction de considérations essentiellement budgétaires.

Un système de santé ne peut répondre adéquatement aux besoins d’une population qu’il n’écoute pas, c’est-à-dire, qu’il n’implique pas dans ses prises de décisions.

Pour les technocrates néolibéraux, les patients ne sont que des clients et les problèmes de santé sont individualisés, contrairement à ce que l’on sait depuis des décennies à propos des déterminants sociaux de la santé (le travail, les inégalités, etc.). Croyez-vous, par exemple, que le système de santé ou la médication vont régler la pandémie de maladie mentale que connaissent nos sociétés ?

Il est illusoire de penser redresser notre système sociosanitaire sans mettre un frein au régime de privilèges dont jouissent les médecins, sans réduire le financement privé et sans renverser la tendance actuelle qui voudrait qu’un réseau de santé qui prend soin d’êtres humains puisse être géré comme des firmes cotées en Bourse.

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