Opinion

Je suis une « agresseuse »

Les mouvements #moiaussi et #balancetonporc dénoncent l’utilisation abusive du pouvoir pour extorquer des faveurs sexuelles. Malheureusement, ils ont dérapé pour se transformer en bêtes affamées quêtant continuellement de nouvelles proies. Par exemple, selon une étude, pas moins de 40 % des étudiants de l’Université Laval auraient vécu de la « violence sexuelle ». Même les « contacts sexuels non désirés » y sont mis dans le même sac que les agressions sexuelles et le viol.

Dans ce cas, il faudra me dénoncer aussi, car d’après les critères définissant la violence sexuelle… je suis une truie à balancer.

Permettez-moi de confesser mon crime, commis en 2000. J’étais au bar avec des camarades d’études. Relativement éméchée, j’ai fait un brin de causette à l’un d’entre eux pour qui j’avais le béguin, puis je l’ai subitement embrassé. Il m’a gentiment, mais fermement repoussée. Le lendemain, de retour en classe, j’ai pris mon courage à deux mains et lui ai présenté mes excuses. Rougissant, il a souri et les a acceptées. Malgré l’incident, nous sommes demeurés bons amis le reste de notre formation et même après, jusqu’à ce que nous nous perdions de vue.

Si un jeune homme avait commis ce crime aujourd’hui, l’école aurait reçu une plainte.

Elle-même, coupable de ne pas surveiller ses étudiants dans tous les bars de la ville, aurait été sommée d’adopter une « politique » contre la violence sexuelle, assortie de « safe spaces », de « trigger warnings » et de tout ce que l’intersectionnalisme universitaire est capable d’inventer.

Tout cela n’existait pas lorsque j’ai dû moi-même gérer des importuns. Vers la fin des années 90, pendant un autre party étudiant, un jeune homme a posé sa main sur mon dos, puis l’a fait glisser jusqu’à mes fesses. Je lui ai lancé d’un ton glacial : « Tu me cherches-tu ? » Il s’est éloigné et est allé déprimer sur un divan le reste de la soirée. Quelques années plus tard, dans le métro, un homme a engagé la conversation avec moi, puis, sans avertissement, m’a plaqué un baiser sur les lèvres. Mon regard de Gorgone a aussitôt refroidi ses ardeurs : il a bredouillé des excuses et est parti sans insister.

Tous sur le même pied ?

Le problème avec #moiaussi et #balancetonporc, c’est que n’importe quel nigaud un peu trop entreprenant est mis sur le même pied qu’Harvey Weinstein et Marcel Aubut. Tout incident se transforme en agression. Tout malaise devient un traumatisme. C’est ainsi qu’une étude peut arriver au taux hallucinant de 40 % de « victimes de violence sexuelle » sur un campus universitaire.

Quel message envoyons-nous ainsi à nos filles ? Qu’il leur est impossible, comme demoiselles en détresse, de répondre à la moindre sollicitation non désirée sans l’aide d’un appareil institutionnel ? Que ces pauvres oies blanches sont sans pouvoir devant les apprentis séducteurs ? Que le moindre frôlement doit les faire trembler de terreur ? Que dire à un homme d’aller se faire pendre ailleurs est une tâche insurmontable ? Que les femmes n’ont le droit de se faire respecter que collectivement, jamais individuellement ?

Je ne doute pas que les services des ressources humaines, où se gèrent toutes sortes de relations de pouvoir, doivent perfectionner leurs interventions en matière de harcèlement sexuel. De même, l’appareil judiciaire et policier est encore dépassé par les cas de harcèlement et d’agression sexuelle, ces crimes souvent sans preuve matérielle, qui infiltrent la crainte jusque dans la moelle des os de leurs victimes. Ce n’est pas une raison pour détruire publiquement tous les oisons et les mal élevés qui ne méritent rien de plus que de se prendre un râteau. Au sens figuré, bien sûr.

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