L’importance d’un père

DOMINIQUE DUCHARME

Dominique Ducharme a eu une pensée pour son père Jacques lorsqu’il a obtenu le poste d’entraîneur en chef de l’équipe canadienne junior, la semaine dernière.

« Je pense tout le temps à lui. Il n’y a pas une journée, il n’y a pas un moment qui ne me ramène pas à mon père », confie-t-il avec des trémolos dans la voix au bout du fil.

Chaque début de match des Mooseheads d’Halifax en deuxième moitié de saison lui rappelait sa perte. « Il regardait tous les matchs, et une demi-heure avant, il m’envoyait toujours le même message texte, raconte le nouveau DG et entraîneur en chef des Voltigeurs de Drummondville. Alors quand arrive ce moment-là, je sais que [je n’en recevrai pas], alors je pense à ça. »

Dominique Ducharme n’a pas reçu ce fameux texto avant le troisième match du Canada au Championnat mondial junior, où il œuvrait à titre d’entraîneur adjoint de Dave Lowry, le 29 décembre. Inquiet, il a écrit à son père avant de prendre place derrière le banc de l’équipe.

Il n’a jamais eu de réponse. Quelques minutes avant la rencontre, à la résidence familiale, à Joliette, la mère du coach a voulu prévenir Jacques que le match allait commencer. Le paternel ne s’est jamais réveillé. Il avait 68 ans, on ne lui connaissait pas de problème de santé.

Ducharme a choisi de poursuivre l’aventure plutôt que de rentrer au pays précipitamment.

« Ma mère m’a dit de rester, parce que connaissant notre père, je l’aurais fait mourir une deuxième fois si j’étais rentré. Ça aurait été son choix et je sentais que tout le monde était bien entouré à la maison. »

— Dominique Ducharme

« C’était difficile de rester concentré, mais je voulais bien faire mon travail. Quand je m’engage dans quelque chose, je veux le faire au maximum. C’est l’une des valeurs que mon père m’a transmises. »

La mort de son père a aussi accéléré sa décision de quitter les Mooseheads d’Halifax il y a quelques semaines, après quatre ans, 176 victoires, une Coupe Memorial et des moments magiques avec Nathan MacKinnon, Jonathan Drouin, Nikolaj Ehlers, Timo Meier et Zachary Fucale, entre autres.

La situation était devenue compliquée, depuis la séparation entre Dominique et sa femme. Les enfants sont retournés vivre à Joliette, tandis que Ducharme vivait à Halifax pendant la saison. Jacques tenait un rôle essentiel auprès des enfants.

« Son départ a changé plein de choses. C’est mon père qui était mon substitut auprès des enfants. Parfois, je partais tôt le matin d’Halifax pour aller les voir, et je prenais le premier avion le lendemain matin. Bobby Smith et les Mooseheads ont été fantastiques pour moi dans les circonstances. [Mon père] emmenait mon gars à l’aréna. On sait quel investissement de temps ça prend pour suivre un jeune dans le sport compétitif.

« En plus d’être mon père, il était très impliqué dans la famille. C’était un père, un grand ami, un grand partisan. Il nous a toujours beaucoup appuyés, mon frère et moi, et il faisait la même chose avec ses petits-enfants. Ça a été une surprise, il n’était pas malade, rien. On ne s’y attendait pas du tout. Ça m’a fait réaliser encore plus qu’il fallait profiter de chaque moment. Tout ça mis ensemble, c’était important pour moi de rentrer. »

PASSION TRANSMISE

C’est Jacques, un électricien de métier, qui a insufflé à Dominique et à son frère Stéphane la passion du sport. « Il nous a placés dans des situations pour faire du sport à un jeune âge. Il nous faisait des glaces dans la cour extérieure. Il a fait en sorte qu’on aime ça. Il ne nous a jamais mis de pression, il nous a juste soutenus. Ça n’a jamais été négatif de jouer au hockey. Il nous disait de faire de notre mieux, de nous amuser. Quand arrivait l’été, il coachait, on avait du fun ensemble. »

À 16 ans, Dominique Ducharme était l’un des bons joueurs de son âge au Québec. Recruté par l’Université du Vermont, il a dû faire une année de transition avec les Hawks d’Hawkesbury pour y apprendre l’anglais, entre autres. L’entraîneur des Hawks s’appelait Bob Hartley.

Dominique Ducharme y connaît beaucoup de succès, tout comme l’équipe, et la situation se complique. Bob Hartley est nommé entraîneur en chef du Titan de Laval… l’équipe qui a repêché Ducharme.

« Je ne voulais pas prendre de décision, c’était trop difficile. Ç’a probablement été le pire été de ma vie. J’aurais aimé jouer pour Laval, et j’avais eu du succès avec Bob. Ç’a été vraiment déchirant. »

Dominique Ducharme constitue la locomotive offensive des Catamounts avec un autre Québécois, Nicolas Perreault, pendant deux ans, mais leur règne achève. Un certain Martin St-Louis s’y présente en 1993 avec son copain Éric Perrin.

Nicolas et moi, on leur a servi de guide au début. Mais ça n’a pas été long qu’ils ont fait leur place. Ils ont eu du succès rapidement. Martin avait ce feu, cette envie du dépassement, c’est ça qui lui a permis de progresser à l’université. Son avenir était difficile à prédire. Mais c’est dur de parier contre un passionné comme lui. Évidemment, personne n’aurait pu prédire qu’il gagnerait le Hart et l’Art-Ross, Martin ne l’aurait probablement pas cru non plus. À l’époque, je pense que son but était de prouver qu’il avait sa place à la LNH. »

Après quelques matchs dans la Ligue américaine et la Ligue de la Côte Est, Dominique Ducharme part pour la France. Il y passera six ans.

« Je savais que je voulais jouer quelques années de plus. Je voulais gagner des sous et voir autre chose. J’avais un bac en enseignement de l’éducation physique, je me voyais enseigner. Le coaching est venu graduellement. À ma dernière année, notre coach a été gravement malade. Mon coéquipier Bob Ouellet, le père de Xavier [des Red Wings], et moi avons pris l’équipe en main. Il n’y avait pas d’assistant à l’époque. C’est Bob et moi qui avons pris l’équipe en charge. C’est là que je me suis passionné pour ça. »

Quelques années plus tard, il a fait son entrée dans la LHJMQ à titre d’adjoint de Pascal Vincent chez le Junior de Montréal. « Pascal Vincent avait joué pour Bob [Hartley] à Laval. Bob et moi étions restés en contact. Bob a vu Pascal, j’avais déjà envoyé mon CV, tout s’est mis en place. Travailler avec Pascal, qui était dans la Ligue depuis neuf ans, a été une très bonne expérience. Il y avait Joël Bouchard, aussi. Disons qu’on formait un “pas pire staff” [rires]. Pascal me faisait beaucoup confiance. Quand je suis parti pour Halifax, je me sentais vraiment prêt. »

Où se voit-il dans 10 ans ? « Tu veux atteindre le plus haut niveau, comme les joueurs. C’est normal. Tout le monde veut se dépasser. »

Dominique Ducharme ne sait pas s’il existe une forme de vie après la mort. « S’il y a quelque chose, je sais que présentement, mon père sourit, il est content de ce qui m’est arrivé cette semaine. Il continue de me soutenir, comme il l’a tout le temps fait avec moi, mon frère, ses petits-enfants… »

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