Opinion #agressionnondénoncée

Une digue a cédé

En entrevue avec Marie-France Bazzo, à l’émission C’est pas trop tôt, la semaine dernière, la journaliste Chantal Hébert ne mâchait pas ses mots pour décrire les us et coutumes du boys club parlementaire à Ottawa. Commentant les allégations récentes d’agressions sexuelles au sujet de deux députés libéraux, elle a dit : « Une digue a sauté ».

Ça aura pris des siècles, plusieurs vagues de féministes… et les derniers jours pour que les femmes fassent exploser l’écluse du silence. Les suites de l’affaire Ghomeshi, la mise en cause de la véracité des allégations étant donné l’absence de plainte après les faits, ont provoqué un raz de marée de témoignages de femmes agressées sexuellement, et qui n’ont pas, elles non plus, déposé de plaintes officielles. Toutes, dans l’après-coup, se sont avancées sur la place publique pour raconter leur histoire, ne plus se taire.

Ce geste-là en est un de solidarité : autant de femmes comme une vague qui avance. Que dénoncent-elles, ensemble ? Le manque d’écoute sociale, les risques de toutes sortes que comporte encore tout dépôt de plainte, et surtout, le refus ambiant d’entendre et de croire la parole des femmes.

Toutes ces femmes qui ont témoigné sont de conditions sociale, d’âge, de cultures et de lieux différents. Ce qu’ont toujours expliqué, inlassablement, les féministes et autres Calacs, groupes de femmes et intervenants qui s’échinent depuis des décennies pour que l’on cesse de tolérer les violences sexuelles. Aujourd’hui, la force du nombre, tout comme le détail de chaque témoignage, sont une gifle à l’incrédulité de la société. Les voix viennent de partout, pour dire que, malheureusement, l’agression sexuelle constitue une expérience commune des femmes.

Fortes de décennies, de siècles de pensée, d’écrits, d’actions féministes, les femmes envahissent le web comme si elles descendaient dans la rue. Voilà l’importance de ce raz de marée : autant de vies, de corps, de souffrances mises en jeu non plus dans une agression privée, mais dans une reconquête de l’espace public et politique. L’agression sexuelle, tout comme le sexisme ordinaire, le harcèlement de tous les jours (qu’on pense au fil #yesallwomen de l’été 2014) doivent être dénoncés pour que les femmes puissent, un jour, habiter le monde en sécurité. Pour que l’impunité cesse – celle des stars et des hommes politiques comme celle des hommes ordinaires, des people autant que des oncles, des frères, des pères, des professeurs, des patrons, des amants, des maris et des amis.

UNE NOUVELLE RÉVOLUTION

Est-ce la fin d’une époque qui dure depuis la nuit des temps ? Peut-être bien, il faut le souhaiter. Est-ce le fruit de siècles de féminisme ? Sans conteste.

La digue a cédé parce que, même si elles ont longtemps encaissé en silence, les femmes n’ont jamais oublié.

Aujourd’hui, elles décident de ne plus se taire. Les choses vont-elles changer ? Les hommes vont-ils être capables de la prise de conscience nécessaire à l’avancée des choses ? On ne peut que souhaiter leur réflexion, leur humilité, leur capacité à écouter celles qui parlent et les encourager, eux aussi, à dénoncer le sexisme.

Nous nous réjouissons qu’il soit possible de parler de ce sujet, aujourd’hui, sans risquer d’être ostracisée. Jusqu’à récemment (et encore maintenant ?), beaucoup d’hommes ne croyaient pas les femmes qui dénonçaient ou portaient plainte contre le harcèlement ou l’agression sexuelle. Trop souvent considérées menteuses, fabulatrices, hystériques ou paranoïaques, leurs témoignages attaqués et démentis, elles ont compris qu’il valait mieux se taire, rester seule avec son histoire, quitte à porter une honte intime.

Nous l’avons vécu. Mais ce temps-là est peut-être révolu. Le mouvement dont nous sommes témoins dans l’espace public, ce chœur de voix de femmes qui résonnent autour de nous, est une réponse à tous ceux et celles qui se demandent encore à quoi sert le féminisme.

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