Entrevue avec l'ex-patineur David Pelletier

D'une vie d'athlète à celle d'entraîneur

Après un entraînement estival en août, le Russe Nail Yakupov, attaquant des Oilers d’Edmonton et premier choix au total de la LNH en 2012, a bombardé de questions le spécialiste de patinage de l’équipe.

YouTube lui avait permis d’en savoir plus sur son entraîneur, et en particulier ce fameux soir de février 2002 à Salt Lake City. Le patinage artistique était-il un sport dangereux ? Et surtout, que s’était-il passé avec les juges ? Comment avait-il réagi ? Pourquoi lui avait-on finalement décerné la médaille d’or ?

Yakupov avait 8 ans lors des Jeux olympiques de Salt Lake City, au cours desquels l’un des plus grands scandales de l’histoire du sport est survenu. Une juge française a admis avoir voté pour le couple de patineurs russes au détriment de David Pelletier et Jamie Salé sous la pression de ses pairs. Les juges russe, ukrainien et chinois ont aussi voté pour les Russes. Des dirigeants de la mafia russe ont été interrogés relativement à cette affaire et soupçonnés de magouille.

David Pelletier glousse au téléphone. « Il a essayé de comprendre ce qui s’était passé avec la juge [française], mais ça ne me tentait pas pantoute, cette journée-là [rires] ! De toute manière, nous sommes le produit de notre environnement et de notre culture, et je ne suis pas convaincu qu’on se serait bien entendus là-dessus. On a parlé du patinage artistique pour son aspect athlétique, pas politique. Je ne voulais pas ouvrir cette porte… »

Le Québécois a 40 ans aujourd’hui et agit à titre de spécialiste du patinage avec les joueurs de l’organisation des Oilers depuis deux ans. Ils sont trois ou quatre issus du milieu du patinage artistique à travailler auprès d’équipes de la LNH.

« C’est un concours de circonstances, dit-il. Jamie et moi avons décidé de nous entraîner en Alberta en 2001 avec un nouvel entraîneur. On a eu un enfant, il y a eu le divorce, mon garçon vit ici et je veux rester auprès de lui. Puis, un jour, il y a trois ans, un père m’a demandé d’aider son fils hockeyeur. Il y a eu cet enfant, un deuxième, une équipe pee-wee, un club midget AAA, quelques juniors l’été, puis les Oilers m’ont demandé de travailler avec leurs espoirs. »

Le mandat de Pelletier s’est vite élargi. « J’ai travaillé trois fois par semaine avec les espoirs de l’organisation en juin, trois à quatre fois par semaine en juillet et août avec les joueurs réguliers qui étaient dans la région et cinq fois par semaine à compter de la mi-août. À la fin d’août, je les réchauffais avant qu’ils ne jouent. »

David Pelletier a passé la dernière semaine avec le club-école des Oilers à Bakersfield, en Californie. Il rentrait à Edmonton vendredi. Pendant les entraînements des Oilers, il se charge de remettre les blessés en forme, et aussi de travailler avec les joueurs rayés de la formation.

Les joueurs s’exercent toujours avec leur équipement complet et ne font pas de patinage artistique. « Ce sont des exercices que j’ai empruntés et adaptés pour le hockey. Par contre, je les réchauffe comme je le faisais à l’époque. »

Notre homme observe une lacune générale chez les hockeyeurs. « Surtout un manque de contrôle des épaules, lance-t-il. C’est une partie du corps qui contribue à contrôler les pieds beaucoup plus qu’on ne pense. Les pivots sont plus ardus si on ne place pas ses épaules de la bonne façon. Je remarque aussi un manque de souplesse au niveau du tronc. Je leur inculque aussi quelques concepts fondamentaux. Quand on s’engage dans une courbe en auto, il faut regarder au loin, pas seulement la courbe. C’est la même chose sur patins. Il faut élargir le regard, pour anticiper les changements de direction. Je reste toujours un peu surpris quand les joueurs me disent qu’ils entendent parler de ça pour la première fois… »

Autre constatation, le patinage à reculons n’est pas l’apanage des attaquants. « Ça m’a étonné de réaliser qu’ils avaient de la difficulté à reculons. Ils me répondent qu’ils vont patiner à reculons deux ou trois fois en 82 matchs et qu’ils ne veulent pas perdre de temps avec ça. Ce sont des pros, ils savent ce qu’ils ont à faire. Je suis ici pour les aider s’ils le veulent. Mais je me dis qu’il est toujours important d’ajouter des outils à son coffre, de remédier à ses faiblesses. Je parle cependant d’une minorité seulement de joueurs un peu réfractaires. »

David Pelletier affirme que son sport est vu d’un autre œil par les hockeyeurs européens. « En Amérique du Nord, j’ai grandi en me faisant dire que je faisais un sport de filles. En Finlande, en Russie et en Suède, les gens ne regardent pas le patinage artistique de haut. C’est un sport au même titre que le football ou le baseball. Je ne veux pas mettre tous les Nord-Américains dans le même panier, mais c’est quand même un stéréotype. »

Son élève le plus doué ? La réponse ne se fait pas attendre. « Connor McDavid, lance-t-il. Il flotte sur la glace. C’est incroyable. Tout est solide mécaniquement et il ne semble jamais perdre de vitesse même quand il glisse. Son corps est parfaitement équilibré dans ses pivots ou ses transitions. Il arrive à générer beaucoup de puissance quand il déborde vers l’extérieur, que ça soit à gauche ou à droite. Il est très impressionnant. »

McDavid a soif d’apprendre et il a multiplié les questions à son entraîneur après la première séance au camp de développement, cet été. « C’est un garçon très humble et curieux. Il me demandait ce qu’il avait de plus important à améliorer. Je lui ai répondu que je n’avais pas grand-chose à corriger parce que tout ce qu’il faisait était déjà super. Il m’a dit que le rollerblade l’avait beaucoup aidé parce qu’il en avait fait beaucoup, plus jeune. Le rollerblade a pourtant mauvaise réputation, on dit que ça peut mêler un patineur sur la glace, mais pas dans son cas. C’est un phénomène. Ajoutez à cela son intelligence exceptionnelle et des habiletés naturelles incroyables, et vous avez un joueur complet. »

Yakupov est aussi un bon élève. « Comme la plupart des Russes, il maîtrise très bien les techniques du patinage. C’est un garçon très poli, très respectueux, qui travaille très fort avec moi et respecte toujours les consignes. »

Même si le patinage artistique lui a fait vivre de grandes émotions, David Pelletier dit vivre un rêve avec les Oilers.

« Je rêvais de soulever la Coupe Stanley, quand j’étais jeune, pas des patineuses. Ça a quand même bien tourné pour moi. »

— David Pelletier

« Je voulais devenir joueur de hockey, mais je venais d’un petit village [Sayabec] et il y avait des équipes de catégorie CC seulement, et du BB à Rimouski. Les choses ont changé quand je suis parti pour Montréal avec l’arrivée de l’Océanic de Rimouski. Les jeunes ont pu voir à l’œuvre Vincent Lecavalier, Brad Richards et Sidney Crosby, et ça a changé la culture du hockey dans la région. »

Chaque séance avec les joueurs des Oilers lui procure beaucoup de plaisir. « Je ne me pince quand même pas, parce que ce sont des kids de 20 ans et que j’en ai 40, mais chaque fois que je saute sur la glace, je profite du moment. J’adore travailler avec des athlètes de haut niveau. Je combine ainsi mes deux grandes passions, le sport et l’enseignement. »

À quand une première Coupe Stanley avec les Oilers ? Pelletier reste prudent. « On nous prédit une grande éclosion depuis plusieurs années », dit-il.

Cette fois, les Oilers semblent plus sérieux.

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