Accord Canada–États-Unis–Mexique

L’industrie de l’aluminium s’estime laissée pour compte

Ottawa — Si la signature de la version modifiée de l’ALENA 2.0 s’est déroulée sous la chaleur de Mexico, l’accueil à ce dernier chapitre de la renégociation du pacte commercial entre le Canada, les États-Unis et le Mexique a été glacial à Ottawa et surtout au Québec, où l’industrie de l’aluminium estime avoir été sacrifiée.

Après des mois d’incertitude entourant la nouvelle mouture de cet accord de libre-échange nord-américain, la vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland, s’est rendue dans la capitale mexicaine mardi pour apposer sa signature aux côtés de celles de ses vis-à-vis américain et mexicain, Robert Lighthizer et Jesus Seade.

Le déblocage attendu est survenu après que les élus démocrates au Congrès américain eurent obtenu les changements qu’ils réclamaient depuis quelques mois afin d’améliorer les clauses touchant notamment les droits des travailleurs au Mexique et la protection de l’environnement.

En conférence de presse à l’ambassade du Canada au Mexique, mardi soir, la ministre Freeland a soutenu que les modifications sur lesquelles les trois Amigos sont tombés d’accord constituent une avancée importante pour tous les secteurs de l’économie canadienne. 

« Ces amendements vont faire du nouvel ALENA un accord encore meilleur. »

— Chrystia Freeland, vice-première ministre du Canada

Mais l’Association de l’aluminium du Canada en avait une tout autre lecture. Selon elle, l’accord, une fois ratifié, permettra au Mexique « de continuer d’importer à sa guise du métal en provenance de Chine », ce qui aura des répercussions sur le marché nord-américain, et affectera la compétitivité des alumineries québécoises.

L’Association déplore que la nouvelle entente exclue « une définition de la règle d’origine » de l’aluminium, provoquant une grave « entaille » dans le marché.

« L’avantage ainsi conféré au Mexique en fait ni plus ni moins la cour arrière de la Chine pour disposer des produits de sa surcapacité, engendrant du fait même la délocalisation progressive des transformateurs nord-américains vers le Mexique », a déploré le président du regroupement, Jean Simard.

Accès protégé, rétorque Ottawa

En réponse, le gouvernement Trudeau se targue d’avoir protégé, voire consolidé l’accès de l’industrie canadienne de l’aluminium au précieux marché nord-américain. « Nous nous sommes battus pour une levée totale des tarifs [américains] », a insisté Chrystia Freeland.

« Le Canada est le seul producteur important d’aluminium dans le monde qui n’est pas soumis à des tarifs américains. Avec le nouvel accord, on a maintenant la garantie que 70 % de l’aluminium contenu dans une voiture proviendra de l’Amérique du Nord. [….] Le nouvel ALENA est meilleur pour le secteur de l’aluminium que l’ancien ALENA », a-t-elle poursuivi.

Mme Freeland a aussi tenu à souligner d’autres gains pour le Canada. Elle a affirmé que le mécanisme de règlement des différends entre États a été renforcé, que les droits des travailleurs seront mieux protégés, que les règles en matière de protection de l’environnement et de la propriété intellectuelle ont été mises à jour, entre autres.

Le Bloc en colère

À Ottawa, le Bloc québécois cachait mal sa colère, accusant le gouvernement Trudeau d’avoir « sacrifié » une autre industrie cruciale pour l’économie du Québec. Pour le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, il serait « inimaginable de cautionner » des reculs en matière de protection de l’industrie de l’aluminium.

« La ligne rouge est là : après la gestion de l’offre, voici que l’aluminium est mis sur la table par le gouvernement du Canada. Les intérêts économiques du Québec sont mis sur la table dans cette négociation […] pour protéger d’autres intérêts qui, clairement, ne sont pas ceux du Québec », a pesté le chef bloquiste.

« Il n’y aura pas de discussions là-dessus et j’ose espérer que tant le NPD que les conservateurs ne porteront pas l’odieux de donner leur appui au gouvernement. »

— Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

En mission en Californie, le premier ministre du Québec, François Legault, s’est montré plus circonspect, indiquant n’avoir pas encore pris connaissance du document officiel. « Évidemment, je vais aborder cette question avec M. Trudeau. J’ai des questions. Je pense qu’il faut être prudent avec les échos [qui circulent au sujet de l’aluminium]. [...] C’est important que le secteur de l’aluminium soit inclus dans l’entente et qu’on recommence, sans aucun tarif, à exporter notre aluminium aux États-Unis », a-t-il souligné.

« Deux défaites pour le Québec »

Le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice, a aussi fait preuve de prudence, affirmant que sa formation devait d’abord « regarder l’ensemble du texte » de l’accord amendé.

« On n’a pas encore pris de décision sur notre vote, ce qu’on veut, c’est une bonne protection pour l’environnement et les droits des travailleurs », a précisé M. Boulerice, qui a néanmoins admis qu’il s’agissait maintenant « de deux défaites pour le Québec », citant les concessions faites dans la gestion de l’offre.

S’étant déjà montré critique envers les libéraux durant la campagne électorale au sujet des négociations sur le libre-échange, le Parti conservateur en a rajouté.

« Ça ne fait pas notre affaire », a martelé le député conservateur de Chicoutimi–Le Fjord, Richard Martel, qui a refusé, pour l’heure, de s’avancer pour la suite. « Ce qu’on apprend, c’est que le Mexique et les États-Unis ont fait leurs affaires et que nous, on va récupérer les pots cassés », a-t-il dit, rappelant que Justin Trudeau, lors d’une visite au Saguenay, s’était engagé à soutenir les travailleurs de l’aluminium, un poumon économique régional.

« Un gain net »

Le leader du gouvernement en Chambre et lieutenant politique de Justin Trudeau au Québec, le ministre Pablo Rodriguez, a cherché à calmer le jeu au Parlement en fin de journée mardi. Il a certifié que la nouvelle entente constitue « un gain net » pour l’industrie de l’aluminium, rejetant les critiques des partis de l’opposition.

M. Rodriguez a du même coup invité ses adversaires à voter en faveur de la ratification de l’entente, qui pourrait survenir au début de la nouvelle année. Les travaux parlementaires prennent fin vendredi et reprendront seulement le 27 janvier.

— Avec Tommy Chouinard, La Presse

« La fin de l’incertitude »

Pour le professeur de l’Université d’Ottawa, Patrick Leblond, spécialisé en commerce international, ces développements signifient « la fin de l’incertitude autour du libre-échange en Amérique du Nord ». Il a rappelé que le sort de l’ALENA 2.0 demeurait précaire avec les démocrates, majoritaires à la Chambre des représentants, qui tardaient à l’appuyer. « On se demandait jusqu’à quel point les démocrates étaient prêts à concéder ce succès-là au président Trump » dans le contexte électoral aux États-Unis. « Il y avait quand même cette probabilité que l’accord ne passe pas avant les élections, souligne-t-il. Pour les entreprises, c’est toujours l’incertitude qui est le pire. » Reste que le Canada ne pourra pas baisser la garde pour la suite, estime le professeur de l’École supérieure d’affaires publiques et internationales, qui explique que le pays n’est pas à l’abri, malgré la conclusion du nouvel ALENA, d’un nouveau froid économique avec les États-Unis, citant l’imposition des tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium. « On s’était défendus en imposant nos propres douanes, même si d’une certaine manière, tout le monde faisait ça dans l’illégalité. Selon moi, rien n’empêche que ça puisse se reproduire demain matin. On ne fait pas confiance à l’administration Trump et je pense que c’est ce qui est clair », a précisé M. Leblond, en entrevue à La Presse.

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