Chronique

Occupation double : 894
Journalisme : 69

Attention, c’est une chronique sur le journalisme. Je vous dis ça parce que le journalisme est moins populaire qu’Occupation double, même auprès de ceux qui bossent dans les médias.

Détour par Bali, avant de revenir à Ottawa : savez-vous combien de fois les médias québécois ont écrit ou prononcé les mots « Occupation double », du mercredi 4 octobre au mercredi 11 octobre ?

Huit cent quatre-vingt-quatorze fois.

C’est ce qu’indique Eureka.cc, la base de données des médias québécois.

Savez-vous combien de fois les mots « sources journalistiques » ont été prononcés pendant la même période ?

Soixante-neuf fois.

« Sources journalistiques », comme dans « protection des sources journalistiques », comme dans le fameux projet de loi S-231 du Sénat canadien sur la protection des sources journalistiques qui a finalement été adopté par la Chambre des communes, le mercredi 4 octobre, un événement aussi inattendu que providentiel (l’adoption finale par le Sénat est une formalité, prochainement).

Ça faisait des années que les journalistes et les médias demandaient une version canadienne de ces « shield laws » existant ailleurs en Occident, des lois qui codifient et protègent la relation spéciale entre les journalistes et leurs sources d’information confidentielles.

Et ça faisait des années qu’Ottawa faisait la sourde oreille.

Puis, à la faveur du tollé provoqué par les révélations de l’automne 2016 sur l’espionnage de journalistes québécois, le sénateur conservateur Claude Carignan a déposé un projet de loi pour protéger cette relation spéciale.

Ainsi naquit le projet de loi S-231, dont les chances de survie étaient bien minces : les projets de loi émanant du Sénat sont rarement adoptés par la Chambre des communes, encore plus quand ils sont déposés par l’opposition…

Mais dans ce cas-là, le gouvernement Trudeau s’est montré réceptif. Et après avoir cheminé dans la machine à saucisses législative, boum, la Chambre des communes a adopté le projet de loi S-231. Les députés l’ont adopté à l’unanimité.

Concrètement, ça veut dire que plusieurs des folles parties de pêche de la police dans les communications des journalistes – stupidement autorisées par nos juges de paix magistrats – ne seront plus possibles, une fois la loi promulguée.

D’ailleurs, tiens, tiens, Ottawa enlève aux juges de paix magistrats toute autorité sur la délivrance de mandats de surveillance touchant des journalistes…

C’est donc une avancée formidable pour le droit du public à l’information qui s’est produite à Ottawa, il y a une semaine.

Au risque de me répéter, si les journalistes peuvent être impunément espionnés par la police au moindre prétexte gonflé à l’hélium, les sources confidentielles seront hautement réticentes à parler aux journalistes. Et sans sources, il n’y a pas de journalisme digne de ce nom…

Alors, on pourrait croire que les journalistes auraient dansé la samba devant l’adoption de ce projet de loi ! On pourrait croire que c’eût été la fête au village médiatique !

Eh bien, non.

Coast to coast, c’est comme si un arbre était tombé dans la forêt.

J’ai vu le minimum syndical requis en matière de couverture journalistique sur ce projet de loi qui solidifie l’acte journalistique qu’est la transaction entre une source confidentielle et un journaliste, pour informer le public.

C’est comme pour les entorses à l’accès à l’information : les journalistes semblent gênés de prendre de l’espace dans leurs journaux, du temps dans leurs topos, pour souligner – et dénoncer – toutes les acrobaties faites par le municipal, le provincial et le fédéral afin de refuser de révéler des informations et des documents qui pourraient éclairer le débat public…

On devrait pourtant hurler comme des damnés là-dessus. Mais on ne hurle que trop rarement quand il s’agit de « patentes de journalistes ».

Ce projet de loi sur la protection des sources a donc été adopté et il va contribuer à mieux éclairer les débats publics au Canada. Je salue le sénateur Claude Carignan, qui en est le parrain. Son collègue André Pratte (ex-éditorialiste à La Presse) a aussi ramé pour faire progresser S-231. Idem pour Gérard Deltell (lui aussi un ancien journaliste), qui l’a parrainé aux Communes.

Plusieurs associations de médias et de journalistes, au fil des années, au Québec et dans le reste du Canada, ont poussé pour une telle loi. Et des bataillons d’avocats en droit des médias. Ceux de La Presse ont notamment porté la bonne parole à Ottawa, dans la gestation de ce projet de loi.

Personne ne les connaît, et pourtant, leur talent juridique épaulant le travail journalistique de La Presse contribue à mettre un peu de lumière sur les affaires de la cité. Permettez que je nomme les nôtres, des pros essentiels : Patrick Bucholz, Patrick Bourbeau, Christian Leblanc et Sébastien Pierre-Roy.

J’ai souvent dénoncé le culte du secret et le mépris du journalisme des conservateurs de Stephen Harper. Il est donc de la plus délicieuse des ironies que ce soit un sénateur conservateur nommé par M. Harper, Claude Carignan, qui a eu la riche idée de ce projet de loi…

Le public canadien ne le sait pas, parce que les journalistes sont discrets sur « sa » loi, mais il doit une fière chandelle au sénateur Carignan.

PARADOXE

L’autre jour, je redisais en chronique qu’il faudrait cesser de nommer et de montrer les tueurs de masse, comme celui de Vegas. Pour éviter d’inspirer d’autres perdants qui songeraient à faire la même chose…

Je mentionnais aussi que des experts suggèrent aux médias de ne pas montrer d’images affolantes des tueries : elles peuvent exciter et inciter des esprits vulnérables à faire la même chose…

Or, qu’ai-je fait dans cette même chronique ?

J’ai pointé vers une vidéo de CNN qui montrait des images affolantes de la tuerie.

Mea culpa, je suis sur le pilote automatique, des fois.

VÉLO

Plein de réactions à la chronique de samedi sur la mort de Clément Ouimet, à vélo sur la montagne.

Parmi celles-ci, plein qui demandaient : « À quelle vitesse il allait, HEIN ? »

J’ajoute le « HEIN ? » à dessein et de mauvaise foi, mais vous comprenez le ton qu’on utilisait…

On sous-entend que le cycliste a participé à sa propre mort.

Deux choses.

Un, bien sûr qu’il allait vite. Il descendait une côte à forte inclinaison. Même sans pédaler, on pogne rapidement les 40 km/h.

Deux, la chronique était ailleurs, la chronique était sur l’aménagement de la ville pour assurer la sécurité des cyclistes et des piétons, les usagers les plus vulnérables. Pourquoi des chars en transit sur Camillien-Houde ? demandais-je, en écho à des gens qui demandent la même chose depuis deux décennies, au moins.

Bref, je comprends pourquoi le maire peut continuer de parler de sécurité à vélo comme un gars qui fait tous ses déplacements en auto…

C’est parce qu’il ne manque pas de Montréalais qui pensent vélo sans en faire, jamais. Alors ils peuvent être expéditifs quand ce sont les enfants et les petits-enfants des autres qui se tuent à vélo.

On leur souhaite que ça n’arrive pas à leurs enfants, à leurs petits-enfants. La notion d’aménagement va leur sembler soudainement moins révolutionnaire.

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