Bibliothérapie

La thérapie par les livres

Les livres nous font réfléchir ou nous divertissent, mais ils peuvent aussi nous aider à guérir. C’est la prémisse de la bibliothérapie, une approche qui s’inscrit dans la foulée de l’art-thérapie et de la musicothérapie. Encore mal connue chez nous, la bibliothérapie est plus répandue dans certains pays européens comme l’Angleterre et le Danemark ainsi qu’en Nouvelle-Zélande.

En Angleterre, où le concept est très avancé, certaines compagnies d’assurances vont même jusqu’à rembourser des livres prescrits par le médecin. Le programme Reading Well Books on Prescription, lancé il y a deux ans grâce à la collaboration entre professionnels de la santé et bibliothèques publiques, met une trentaine de livres de croissance personnelle à la disposition des Britanniques qui souffrent de dépression, d’anxiété, de phobie ou de désordres alimentaires.

Cette initiative, inspirée d’un programme qui existe depuis 2003 au pays de Galles, permet à des médecins de « prescrire » des livres à leurs patients. Dès la première année du programme, environ 275 000 personnes ont participé et le taux d’emprunt des titres offerts dans le réseau des bibliothèques publiques a grimpé de 113 %.

Une autre institution anglaise, The School of Life, fondée par l’écrivain anglais Alain de Botton, propose un service de bibliothérapie sous forme de séminaires, de formations ainsi que de conseils en ligne.

LES LEÇONS DE ROBINSON CRUSOÉ

En France et dans la francophonie, Régine Detambel est une référence en bibliothérapie. Son approche est toutefois très différente de celle des Anglais. Pas question de « prescrire » des livres. Elle utilise plutôt la littérature dans le cadre d’une approche thérapeutique.

« Je suis kinésithérapeute de formation, note l’auteure jointe au téléphone par La Presse. J’ai commencé à écrire des romans à l’âge de 21 ans. J’ai toujours su que la littérature avait un contenu thérapeutique. J’ai fait 14 ans de psychanalyse et l’écriture m’a toujours fait du bien.

« Au début de ma carrière, j’ai travaillé avec les personnes âgées. C’était bien avant que l’art-thérapie entre en institution. J’ai constaté que ces gens vivaient sans récit, sans imaginaire et qu’ils ne parlaient qu’au passé. C’était triste, il manquait une dimension à leur vie. »

C’est à ce moment qu’elle a conçu ses premiers ateliers. La bibliothérapeute, qui vit à Montpellier, préfère les romans et la poésie aux livres de croissance personnelle – « des recettes toutes faites qui imposent une norme », selon elle.

Parmi les livres qu’elle apprécie : Robinson Crusoé, pour aborder la condition humaine, et Harold et Maude, pour un public plus âgé.

« Il y a toujours un livre pour aborder une problématique, assure l’auteure de l’ouvrage Les livres prennent soin de nous, publié l’an dernier chez Actes Sud. Plutôt que de prescrire des livres, je parle de bibliocréativité. J’anime des ateliers où il y a une rencontre entre l’animateur et les participants. On part du livre pour échanger et pour s’exprimer. Le même texte peut signifier plusieurs choses pour plusieurs personnes, et à partir d’un passage, on peut aborder obliquement un problème ou une situation délicate. »

Régine Detambel utilise aussi l’écriture et les arts plastiques pour amener les « patients » à s’exprimer.

« Je travaille à partir de la force et de l’énergie du texte », ajoute Régine Detambel, qui forme des gens – enseignants, psychologues, bibliothécaires – d’un peu partout dans la francophonie. 

« Pas besoin d’être malade pour assister à un atelier de bibliothérapie. Tout le monde a besoin de nourrir son psychisme. »

— Régine Detambel

BIBLIOTHÉRAPEUTE AMBULANTE

Au Québec, le phénomène en est encore à ses balbutiements. C’est en écoutant une entrevue avec Marc-Alain Ouaknin (auteur de Bibliothérapie – Lire, c’est guérir) que Katy Roy a découvert la thérapie par les livres. Cette diplômée en littérature, qui s’intéresse aussi à la psychologie et à la philosophie, a fondé La Bibliothèque Apothicaire en 2009.

Elle favorise une approche symbolique et propose des consultations individuelles ou de groupe ainsi que des rencontres spontanées en entreprise, dans les bibliothèques et les lieux publics (elle était l’invitée du festival de littérature Metropolis Bleu l’an dernier). Elle offre aussi ses séminaires en établissement, comme à l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec.

« De tout temps, on a utilisé des contes pour mieux se connaître et prendre soin de soi, observe Katy Roy, qui est étudiante au doctorat en psychologie. Dans les rencontres que je propose, on part de la problématique identifiée par la personne et on utilise un conte, un poème ou un extrait de roman pour lancer l’échange. Ça aide les gens à identifier les défis dans leur vie et trouver en eux les ressources pour les relever. »

Un livre peut-il remplacer une thérapie ?

Catherine Éthier est étudiante au doctorat en psychologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Ces jours-ci, elle achève sa thèse qui portera sur l’efficacité d’un livre de bibliothérapie auprès de gens souffrant de troubles anxieux. Elle a donc fait lire Le piège du bonheur de Russ Harris, un best-seller de croissance personnelle traduit en 22 langues, à six personnes durant six semaines. « Ce livre est utilisé par les thérapeutes en complément d’un suivi, explique Catherine Éthier, mais il n’a jamais été testé empiriquement. »

La chercheuse a pris des mesures avant, pendant et après la lecture du livre. Les participants devaient également répondre à des questions tous les jours. « Les livres de croissance personnelle peuvent être efficaces pour traiter l’anxiété, la dépression légère ainsi que des problématiques liées à l’alimentation ou à la sexualité. Ce qui est nouveau avec notre étude, c’est qu’on essaie de voir s’ils peuvent être un bon outil d’autotraitement. » Catherine Éthier présentera ses résultats dans le cadre du colloque de l’ACFAS le printemps prochain.

C’est quoi, la bibliothérapie ?

C’est un pasteur de l’Église unitarienne, Samuel McChord Crothers, qui a utilisé le mot « bibliothérapie » pour la première fois, dans le magazine The Atlantic, en septembre 1916. Mais c’est seulement en 1966 que l’Association of Hospital and Institution Libraries a officiellement reconnu le terme en le définissant comme « l’utilisation de lectures choisies comme soutien dans le cadre d’un traitement thérapeutique en médecine ou en psychiatrie », ou encore des « lectures dirigées qui peuvent contribuer à la résolution de problèmes personnels ». Depuis 1983, aux États-Unis, il existe même une Association nationale de bibliothérapeutes qui accrédite ses praticiens, alors qu’au Canada, ceux qui s’intéressent à la bibliothérapie sont membres de la Canadian Applied Literature Association.

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