Vacances

décrocher lentement

Vous avez cette désagréable impression, au retour de vos vacances, qu’il vous faudrait une autre semaine de congé pour vous en remettre ? Vous avez visité tout ce qu’il « fallait », sans prendre le temps de l’apprécier tellement votre horaire était planifié jusque dans les moindres détails ? Et si, la prochaine fois, vous misiez sur la qualité plutôt que sur la quantité en adoptant le mode slow travel ? Aperçu de ce mouvement lent, à l’opposé du quotidien au rythme effréné que l’on devrait fuir à tout prix durant les congés.

UN DOSSIER D’AUDREY RUEL-MANSEAU

Visiter moins et mieux

Le terme universel le dit, voyager selon le mode slow travel, c’est y aller len-te-ment. Prendre son temps pour découvrir, rencontrer, relaxer. C’est s’imprégner des odeurs, des goûts, des coutumes, du mode de vie de ceux que l’on visite, plutôt que d’agir à titre de simple spectateur. Visiter moins, mais mieux.

« Le slow travel, c’est vraiment le fait d’expérimenter une destination dans son ensemble au lieu de simplement aller voir quelque chose. C’est de vivre des expériences authentiques, comme préparer ses repas avec des aliments locaux, voyager en autobus, visiter les marchés, prendre son temps dans les cafés, interagir avec la population », explique Maïté Levasseur, directrice adjointe du Réseau de veille en tourisme à la Chaire de tourisme Transat – ESG UQAM.

Du slow food au slow travel

Le slow travel découle du mouvement slow food, qui a vu le jour en Italie il y a plus de 30 ans. Pour la petite histoire, c’est un critique gastronomique italien qui a lancé ce mouvement citoyen en riposte à l’ouverture d’un restaurant McDonald’s sur la piazza di Spagna, au centre de Rome, en 1986. L’idée de Carlo Petrini est restée et est devenue un mouvement international destiné à protéger la gastronomie locale de l’invasion de la restauration rapide. Le slow travel est le pendant du slow food appliqué au voyage.

« Le slow travel est arrivé en 1999 en réaction à notre rythme de vie et de travail très rapide, à l’augmentation du stress, à notre façon de toujours faire du multitâche », expose Mme Levasseur.

Vieillissement de la population, ralentissement du rythme

« Le slow travel, pour moi, c’est de continuer ma vie, mais dans un autre environnement. »

— Jessica Statia Gallant, adepte du mouvement

Originaire de Saint-Hyacinthe, Jessica Statia Gallant, 27 ans, a notamment vécu quatre mois aux Bahamas, un an aux Pays-Bas, un an en Nouvelle-Zélande et elle est maintenant installée pour une durée indéterminée à Curaçao.

« J’aime prendre le temps de découvrir un pays et me créer une nouvelle routine parmi les gens d’une autre culture. La meilleure façon de faire, c’est de me trouver un travail et de me sentir chez moi », explique celle qui a étudié en gestion hôtelière.

Le profil de la jeune femme est particulier et ne correspond pas nécessairement au portrait caractéristique du slow traveller. En fait, il n’y a pas de portrait type, sauf peut-être des tendances sous-jacentes : le vieillissement de la population, le contexte économique, la quête du mieux-être, etc.

« C’est sûr qu’on peut remarquer un impact du vieillissement de la population, par exemple, soulève Mme Levasseur. Les baby-boomers et les personnes plus âgées cherchent des formules plus personnalisées, plus riches sur le plan culturel et qui leur offrent plus de temps devant eux, ils peuvent se le permettre. »

La documentation sur le sujet n’est pas abondante et est constituée essentiellement de témoignages d’adeptes transmis par l’entremise de blogues personnels, de vidéos YouTube ou de récits dans des magazines spécialisés. Les analystes du Réseau de veille en tourisme observent toutefois un intérêt constant pour la pratique, qui s’applique autant aux voyages de quelques jours qu’à ceux de plusieurs mois.

« On voit passer des choses autour de ce mouvement-là de façon régulière. Si c’est en augmentation ? Non, mais il y a quelque chose de bien vivant dans le mouvement, qui demeure et qui continue », rapporte la directrice adjointe du Réseau de veille.

« Des fois, c’est une façon de voyager qui se fait naturellement. D’autres fois, c’est plus clair que c’est l’objectif du voyage et les choix sont faits en fonction de ça. »

— Maïté Levasseur, directrice adjointe du Réseau de veille en tourisme à la Chaire de tourisme Transat – ESG UQAM

Certains vont opter pour la location d’une maison, des déplacements à pied, en autobus municipal ou à vélo, ou encore pour la découverte d’un cours d’eau en voilier ou en canot. Bref, l’idée du slow travel n’est pas de suivre un cadre établi, bien au contraire, c’est d’en sortir et de laisser (beaucoup) de place aux imprévus !

LES AVANTAGES

Économique

À voyager lentement, on visite moins d’endroits et moins d’attractions touristiques aux prix parfois faramineux. Automatiquement, les dépenses pour les activités sont moindres et le budget ne s’en porte que mieux. L’autre avantage, c’est qu’en restant plus longtemps au même endroit, il est souvent possible de bénéficier d’un meilleur prix sur la location d’un hébergement, d’un scooter, d’un vélo, etc. Il devient aussi plus facile de cuisiner soi-même ses repas.

Écologique

Quand on fait du slow travel, le temps passé dans les transports devient une partie du voyage plutôt que d’être simplement un déplacement. Beaucoup d’adeptes vont opter pour des moyens de transport locaux, comme l’autobus ou le vélo, plutôt que de louer une voiture. Le train est privilégié pour les plus longues distances. Non seulement cette option se transforme-t-elle en expérience de découverte, mais elle est aussi beaucoup plus écologique que l’avion.

Reposant

Ce mode de voyage privilégie la lenteur par rapport à la rapidité, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a aucune place à l’instantanéité ou à l’improvisation. La différence, c’est que le voyageur y va à son rythme, selon son humeur et son niveau d’énergie du moment. Son expérience – en plus d’être plus originale et authentique – est en fin de compte beaucoup plus reposante.

Pour eux, pas question de se presser

Pour certains, se laisser porter par le vent est naturel, alors que pour d’autres, il s’agit d’un véritable exercice de lâcher-prise. Trois voyageurs québécois nous racontent comment le slow travel est devenu leur mode de vie et nous expliquent les bénéfices qu’ils en retirent.

Maxime Bellefleur

Âge : 32 ans

Ville d’origine : Lévis

Lieu actuel : le Québec, pour voir la famille

Son profil : Maxime a rencontré Alizé en 2010, en Tanzanie. Lui Québécois, elle Belge, ils ont continué de découvrir le monde ensemble. Depuis deux ans, ils ont troqué leur sac à dos contre une fourgonnette dans laquelle ils vivent maintenant à trois, avec bébé Yuna.

LE rythme :

« On a toujours fait du voyage lent sans même le savoir. On fait beaucoup de volontariat et d’échange de services, alors ça nous amène à rester un, trois, six mois au même endroit. Automatiquement, on fait moins de visites et on adopte le mode de vie d’où on est. C’est le principe de prendre son temps et de connaître la réalité locale dans laquelle on voyage, question de se dissocier d’être un voyageur, mais plutôt de faire partie du cadre qu’on visite. »

Le pourquoi :

« C’est là que tu vas chercher un sens à ton voyage. Au lieu de dire : “J’ai vu ci et ça”, si tu vas faire un slow travel dans un vignoble, apprendre à cuisiner avec une famille, etc., tu vas parler de ce que tu as vécu plutôt que de ce que tu as vu. »

Le défi :

« Pour nous, c'est devenu un mode de vie, alors, depuis que nous avons notre petite fille, c’est plus difficile pour nos proches que nous soyons toujours sur la route. Côté logistique, avec un bébé, ça nous facilite beaucoup la vie d'avoir la van. Il y en a qui le font en sac à dos avec des bébés : je leur lève mon chapeau ! »

L’anecdote :

« On a fait un échange de services dans un café en Norvège qui, de fil en aiguille, nous a menés à aider à l’organisation d’un festival au cercle polaire, dans une toute petite île de 400 habitants, l’île Træna. À la fin, la famille de marins chez qui on logeait a voulu nous remercier et ils nous ont invités à aller pêcher avec eux au soleil de minuit ! On a découvert l’archipel d’îles avec de véritables pêcheurs ! Nous n’aurions jamais vécu ce moment unique si nous n’avions pas d’abord saisi les expériences, et ensuite pris le temps de connaître cette famille-là. »

Safia Dodard

Âge : 32 ans

Ville d’origine : Terrebonne

Lieu actuel : Cambodge

Son profil : Après des années à bourlinguer à temps plein, la fondatrice de Nomad Junkies passe ces mois-ci le plus clair de son temps au Cambodge, où son copain possède une société de tours d’aventure. Adepte du slow travel, Safia n’y a pourtant pas adhéré tout naturellement.

Son rythme :

« J’ai fait mon premier voyage de backpack en Grèce. Et je me souviens que je bougeais tous les deux ou trois jours. Ça m’a tellement épuisée et stressée qu’en fin de compte, j’ai à peine apprécié les endroits que j’ai visités. Après, j’ai fait un virage à 180 degrés et je suis partie en Australie sans aucun plan, pas même pour ma première nuit. Depuis ces voyages-là, j’ai trouvé le juste milieu et j’y vais toujours au gré des rencontres, sans m’imposer de contraintes de temps. »

Le pourquoi :

« J’aime ne pas avoir le facteur temps. Ça te permet de prendre un pas de recul et de faire une véritable immersion dans la culture. Il faut sortir de l’idée préconçue de la bucket list de choses “à voir” et se permettre de relaxer, de se perdre et de découvrir des endroits cachés. Ce n’est pas grave si tu n’as pas LA photo Instagram qu’il “fallait”. »

Le défi :

« Je suis une personne qui veut tout contrôler, alors de laisser cet aspect-là de côté quand je voyage ne s’est pas fait naturellement. J’aimais tout contrôler, mais je me suis rendu compte que c’était désagréable et stressant de voyager comme ça. »

L’anecdote :

« J’étais avec mon copain dans une île d’un archipel de l’Indonésie, les Moluques, et l’aéroport était dans une autre île, Ternate. Là-bas, le bateau n’a pas d’horaire. Il part quand il est plein. Même chose avec les autobus. On a finalement manqué notre vol, et au-delà de la frustration, il n’y a eu aucune autre répercussion puisque nous n’avions pas de contraintes par la suite. Nous sommes finalement restés trois jours à Ternate, nous avons loué une chambre dans une villa magnifique et c’est le plus beau des endroits où nous sommes allés durant ce voyage-là. »

Jessica Statia Gallant

Âge : 27 ans

Ville d’origine : Saint-Hyacinthe

Lieu actuel : Curaçao

Son profil : Jessica s’installe pour de longs mois dans chacun des pays qu’elle visite. Elle vit avec son mari à Curaçao, où ils organisent des excursions touristiques. Elle est aussi la fondatrice du magazine web Nomade.

Son rythme :

« Au début, je partais quelque part avec en tête l’idée que je passerais une durée X à un endroit, mais je me suis rendu compte que quand je suis bien quelque part, je devrais rester là. Souvent, j’ai des itinéraires préétablis et, une fois sur place, j’ai finalement autre chose à découvrir et je vois généralement la moitié moins de choses que prévu, mais j’en profite beaucoup plus. »

Le pourquoi :

« J’aime le fait que je ne m’impose pas de stress ou de but à accomplir quant à la quantité d’endroits à visiter. J’y vais au rythme de ce que j’ai envie de découvrir, et je vis souvent des expériences complètement différentes. »

Le défi :

« Il y a peut-être davantage d’imprévus, mais il y a toujours des imprévus en voyage, et qu’est-ce que serait un voyage sans péripéties ? En fin de compte, on a toujours un contact avec quelqu’un autour de nous, des gens de l’endroit, d’autres voyageurs prêts à nous aider s’il y a un problème. »

L’anecdote :

« J’ai étudié en gestion hôtelière et nous devions faire trois stages. Ce sont ces stages-là qui m’ont amenée à découvrir le slow travel. J’ai fait quatre mois en Colombie-Britannique, quatre mois aux Bahamas (où j’ai rencontré mon mari originaire de Curaçao !) et quatre mois aux Pays-Bas, où je suis finalement restée un an ! »

Lac-Mégantic suit la cadence

L’association italienne Cittaslow existe depuis 1999, mais elle fait tranquillement son chemin à l’extérieur de l’Europe. Récemment, Lac-Mégantic est devenu la quatrième ville canadienne et la première ville québécoise à recevoir l’étiquette officielle Cittaslow, laquelle atteste qu’il fait bon y vivre et la visiter à un rythme modéré. Explications avec Sonia Dumont, chargée de communications du Bureau de reconstruction du centre-ville de Lac-Mégantic.

Cittaslow compte 236 villes dans son réseau et Lac-Mégantic est la première du Québec à y être inscrite. Comment l’idée vous est-elle venue ?

À la suite de la tragédie, il y a eu une grande démarche de réorganisation citoyenne, et dans cette veine-là, c’est un groupe de citoyens qui a pris connaissance de ce label-là, qui a eu envie de monter le dossier et de voir si on pouvait se qualifier. En regardant les critères, on a réalisé qu’on les remplissait tous déjà. On a soutenu le comité et on a officiellement reçu le label le 22 juin dernier lors d’une assemblée générale en France.

Qu’est-ce qui définit une Cittaslow ? Quels sont les critères pour se qualifier ?

Une Cittaslow, c’est une ville où on favorise le bien-vivre et le développement durable local avec plusieurs actions concrètes, par exemple en commercialisant les produits du terroir. Il y a aussi d’autres aspects, comme la préservation des coutumes, l’étalage des savoirs, la création d’événements locaux, l’accueil et l’hospitalité… Seules les villes de moins de 50 000 habitants peuvent se qualifier et elles doivent répondre à 72 critères qui sont répartis en 7 domaines tels que l’environnement, l’offre touristique, etc.

Qu’est-ce que cette étiquette apporte à Lac-Mégantic ?

C’est certain que, pour l’instant, Cittaslow est peu connue, voire inconnue au Québec. Alors c’est une étiquette qu’il faut faire connaître. Après, on va voir comment ça va s’articuler avec l’attractivité. Nous, on considère que ça vient bonifier ce qu’on a déjà en matière d’actions. On souhaite que ça contribue à inciter encore plus de gens à s’installer ici et aussi à visiter Lac-Mégantic. Ici, on ne connaît pas encore ça, mais ailleurs dans le monde, en Europe par exemple, il y a des gens qui voyagent de ville Cittaslow en ville Cittaslow.

Au Canada, deux villes en Colombie-Britannique (Cowichan Bay et Naramata) et une ville en Nouvelle-Écosse (Wolfville) sont membres de l’association. Souhaitez-vous que d’autres municipalités d’ici entreprennent des démarches pour devenir Cittaslow ?

On fait des maillages avec les villes déjà dans le mouvement, mais j’ignore si d’autres villes ont présenté un dossier. De notre côté, je sais que notre comité avait demandé l’aide d’un de nos citoyens qui parle italien pour faciliter les communications, parce que la société mère est en Italie ! Alors si d’autres villes sont intéressées, elles peuvent nous contacter et on est ouverts à les aider dans le processus.

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