Opinion Hassan Serraji

Comment je suis devenu musulman
Un sujet radioactif traité avec doigté et intelligence

Récemment, l’émission d’Isabelle Maréchal, au 98,5 FM, m’a invité à voir la pièce de théâtre Comment je suis devenu musulman, dans la perspective de participer à un panel avec son auteur et metteur en scène, Simon Boudreault, et l’une de ses têtes d’affiche, Nabila Ben Youssef.

En ces temps où le débat sur le port des signes religieux fait rage au Québec, j’y suis allé à reculons. Je n’avais aucunement envie d’être déçu, mais surtout de replonger dans cette joute qui ne se résout point au salut.

Or, ma soirée au Théâtre La Licorne, à Montréal, s’est révélée rafraîchissante et enrichissante. Avec un tel titre, je ne m’attendais pas à assister à une comédie au rythme effréné d’un stand-up où les punchs se suivent à une cadence industrielle. Ce fut un délire indescriptible après chaque réplique ou presque.

Avec un décor dépouillé et des acteurs qui se glissent dans plusieurs rôles sans pour autant déstabiliser le spectateur ni lui faire perdre le fil de la narration, les scènes se suivent à un rythme hilarant.

Pourtant, cette histoire a tout pour la rendre très difficile à jouer, au risque de se muer en un piège à préjugés.

Dès l’ouverture, le public plonge dans le dilemme d’un couple amoureux composé de deux jeunes Québécois qui attend un bébé. Jusqu’ici, rien d’anormal. Sauf que le gars est un athée qui a bercé dans un milieu catholique et sa petite amie est une fille d’immigrants musulmans.

Afin d’accommoder son amoureuse et sauver les apparences pour sa belle famille, le gars est non seulement mis devant l’obligation de se marier, mais aussi de se convertir à l’islam. À partir de ce moment, le délire enflamme l’assistance avec des situations burlesques et des gags à n’en plus finir. Malgré la sensibilité d’apparence explosive de cette pièce, le public traverse ses scènes dans la bonne humeur et en bonne intelligence.

À l’image de la rencontre des deux familles, qui campent la trame de cette pièce où tout ne peut que les séparer, au lieu de les déchirer, l’adversité les a obligées à mettre de l’eau dans leur vin ou leur thé, c’est selon.

Cette pièce nous invite tous à dépasser ce qui nous sépare pour nous rappeler plutôt ce qui fait de nous les membres d’une même famille : l’humanité.

Loin des débats stériles, dans leurs rencontres avec « l’autre », même dans le tracas, plus les humains se croient différents, plus ils découvrent qu’ils sont semblables. Et que le vivre-ensemble est à portée de main.

Relance de la dispute

Justement, quelques jours après la première de Comment je suis devenu musulman, la nouvelle d’une jeune apprentie policière qui veut réaliser son rêve professionnel en portant le voile a relancé la dispute sur le port des signes religieux dans notre coin du monde. Avec cette impasse qui se répète comme le jour de la marmotte, il y a de quoi perdre tout espoir que nos politiques, toutes allégeances confondues, finissent un jour par dépolitiser cette discorde.

Plus de 10 ans de débats houleux qui n’ont de cesse de polariser notre société, pour notre salut, le temps est peut-être venu de déplacer ce débat identitaire vers des espaces plus ouverts que la joute politique, notamment vers l’art qui adoucit les mœurs. L’expression artistique a cet avantage de traiter les sujets les plus délicats, les plus controversés, avec une légèreté salutaire qui dissipe les tensions, les peurs, et facilite les concessions nobles réciproques.

Avec une mise en scène brillante et un bon texte porté par des artistes plus à notre image, Simon Boudreault et sa troupe ont pondu une pièce marquante.

À elle seule, la scène du quiz vaut le détour. Sous la forme d’un jeu-questionnaire télévisé, les protagonistes multicolores de la pièce y taillent en mille morceaux les préjugés sur « l’autre » qui pullulent dans notre société.

D’ailleurs, presque tous les actes de Comment je suis devenu musulman peuvent être déclinés en d’autres créations au théâtre, à la télévision ou au cinéma. La distribution de cette pièce lève aussi le voile sur ce talent fou issu de la diversité, mais ignoré.

Cette production Simoniaques Théâtre en codiffusion avec La Manufacture devrait faire le tour de tout le Québec, dans les théâtres, les écoles, les cégeps, les universités, les centres culturels, partout. Car cette œuvre théâtrale a réussi le pari de traiter avec doigté et intelligence un sujet radioactif pour rapprocher les solitudes.

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