Opinion

Les mots de 2016

Décortiquons quelques-uns de ces mots qui flottent comme des drapeaux sur l’année…

Les mots tuent. Les mots aident à vivre. Certains redonnent espoir, d’autres vous trouent le cœur. 2016 en aura vu émerger quelques-uns qui la résument à grands traits.

Il y a des années floues aux mots approximatifs, où les courants de pensée s’épivardent, où les mots n’arrivent pas à circonscrire une réalité fuyante. Il y a les années banales où les mots éculés arrivent à faire illusion. Puis, il y a les années coup de poing, où les concepts et les faits s’entrechoquent. Là, de nouveaux mots sont nécessaires, qui émergent, bravaches et bruts. Où alors, on découvre de nouveaux sens à des mots familiers.

2016 aura été faste. Elle a commencé, du moins au Canada, précédée d’un hashtag ironico-prometteurs : #parcequonesten2016 ; elle se termine dans la peur et la post-vérité. Décortiquons quelques-uns de ces mots qui flottent comme des drapeaux sur l’année…

Le dictionnaire Merriam-Webster a fait de surreal (surréaliste) son mot de 2016. Il traduit cette étrange impression que nous avions au lendemain du vote sur le Brexit, ou lors de l’attentat de Nice, ou plus récemment, au marché de Noël de Berlin. Ou ce sentiment prégnant devant l’œuvre entière de Donald Trump pendant la présidentielle états-unienne.

Ce mot parle de notre impuissance, de ce feeling d’étrangeté, de dépossession face à un monde où les catégories habituelles de compréhension volent en éclats.

« Brexit », cet amalgame créatif et brillant pour décrire une très hypothétique menace de sortie de l’Europe de la Grande-Bretagne, a viré au sérieux, et est devenu synonyme de repli, de refus des élites, de faillite des sondeurs. Comme quoi les mots peuvent être changeants et exploser au contact de la réalité.

L’ère de la post-vérité

Quoique la réalité a eu la vie dure, cette année. La « post-vérité » et l’ère « post-factuelle » ont émergé. Ceux qui ont suivi la campagne de Trump savent que la post-vérité est le mensonge poussé à un degré… surréel ! On se contrefout des faits. On est ici au-delà, dans un monde orwellien où « l’ignorance, c’est la force ». L’information se construit sur le mensonge, les demi-vérités, la désinformation, et non seulement on y croit, mais on la défend avec âpreté. Le fameux « wrrrrong » du président désigné, éructé lors des débats, soulignait paradoxalement la vérité…

2016 aura été une année de « peur ». Si face aux attentats de 2015 les Français pouvaient dire « On n’a pas peur », cette année, tout a changé. Soixante-quinze attentats majeurs dans le monde, Nice, la Turquie, Berlin ; ça use le moral et mine la confiance. Le monde est un endroit plus sombre et dangereux. Imprévisible. La « xénophobie », fille de la peur, n’est jamais bien loin. Cela dit, la peur a aussi des racines réelles et la confiance aveugle serait d’une naïveté confinant à la niaiserie. Mais il faut se méfier de la peur quand elle est instrumentalisée par certains dirigeants, parfois de vrais xénophobes. Elle peut aussi pousser à vouloir des murs partout, genre…

L’impression d’être entendu

Ici, au Québec, au Canada, relativement protégés des horreurs frontales, nous avons le luxe de discuter de nos problèmes. Ainsi, nos gouvernements nous invitent à participer à la « conversation ».

La conversation est une patente organisationnelle qui va dans le sens de la discussion et du débat à l’ère des réseaux sociaux, mais à un degré rare d’aseptisation.

On veut donner au contribuable l’impression qu’il est entendu. La conversation est « nationale ». Elle touche les « enjeux qui nous concernent ». Plus vague qu’une Table de concertation, plus abstraite qu’un Sommet, c’est la démocratie sauce Passe-Partout. En mots clairs, la conversation veut dire : « Cause toujours… »

Cette année aura aussi vu naître un mot qui est un programme, une doctrine, une nouvelle manière de voir le monde : le « trumpisme ». Au début, nous en rigolions comme d’une chose hautement improbable, nommée par dérision. Or, voilà qu’il présage d’une rare et réelle rupture. C’est une ère nouvelle qui s’annonce. Déjà, les nominations soulèvent l’inquiétude, les paroles extrêmes s’affichent, décomplexées. La post-démocratie est bel et bien en marche et le trumpisme ouvre la voie.

Ouin. En ces temps étranges, peut-on se souhaiter une bonne et heureuse année ? Oui, et surtout, des mots plus doux…

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