La Presse en Abitibi

« C’est foutu, Lac-Simon ! »

LAC-SIMON — Ilik Panaso a eu un horrible sentiment de déjà-vu lorsqu’il a posé les yeux sur le corps inanimé de son frère étendu dans la rue.

C’est que ce n’est pas la première fois qu’un membre de sa famille est tué par un policier. En janvier 2009, son frère Johnny Jr Michel-Dumont, 20 ans, est lui aussi mort lors d’une intervention policière qui a mal tourné à Lac-Simon. Et comme si ce n’était pas assez, le drame d’il y a sept ans s’est produit dans la même rue que celui de mercredi, à quelques mètres à peine de distance. Les deux frères ont menacé les policiers avec une machette. Tous deux ont été tués par balle.

« C’est difficile à accepter », souffle Ilik Panaso, qui nous reçoit dans sa maison de la communauté algonquine de 1700 âmes près de Val-d’Or. L’homme a la voix éraillée à force d’avoir pleuré.

M. Panaso travaille pour un organisme communautaire. Il était chez lui mercredi soir lorsqu’il a reçu un appel. Son interlocuteur lui annonçait que quelqu’un était mort et lui demandait si son organisme pouvait faire quelque chose. « J’ai dit que non, mais par curiosité, je suis allé voir ce qui se passait. »

Alors qu’il approchait de la rue Ogima, illuminée par les gyrophares des véhicules de police, un passant lui a tapé l’épaule. « Désolé pour toi. » Il n’a pas compris. Puis une autre personne est venue vers lui pour lui offrir ses condoléances. « Cette fois, j’ai demandé de quoi elle parlait. C’est alors qu’elle m’a dit que c’était mon frère qui était mort. »

Sandy Michel, 25 ans, était étendu en pleine rue dans une flaque de sang. Deux de ses neveux étaient agenouillés à ses côtés.

« En le voyant comme ça, confie l’un d’eux, Lence Dumont-Cheezo, j’ai revu le corps de mon oncle Johnny, presque au même endroit, il y a sept ans. C’est difficile pour une famille de perdre deux personnes comme ça. C’est très difficile. Je n’ai pas de mots. »

« C’est mon oncle qui me protégeait quand j’étais plus jeune et que les gens étaient saouls. Et maintenant, il n’est plus là. »

— Lence Dumont-Cheezo, neveu de Sandy Michel

Sa mère Shirley, une autre sœur du défunt, est en colère. « Ils ont rouvert les cicatrices de mes enfants », lâche-t-elle.

UNE FAMILLE EN COLÈRE

Mercredi soir, une opération policière apparemment pour une affaire de violence conjugale chez Sandy Michel a tourné au vinaigre. L’homme est sorti avec une machette. Il a menacé les policiers du corps de police local, déjà échaudés par la mort de l’un des leurs, Thierry LeRoux, en février. Ils ont happé Sandy Michel avec leur véhicule pour le désarmer, puis ils lui ont tiré dessus.

Lence Dumont-Cheezo et son frère John Jr, tous deux témoins du drame, croient qu’il s’agit d’une vengeance. « On aurait dit qu’ils voulaient le tuer. C’était personnel », dit le premier.

Le défunt a eu une vie difficile. Sa première femme est morte dans des circonstances violentes il y a quelques années. Cette semaine, il a perdu la garde de ses trois filles. L’homme n’était pas un enfant de chœur. Il se battait, disent ses proches, et il consommait régulièrement de la drogue et de l’alcool. La police intervenait souvent chez lui.

« Mon oncle aimait la vie. Et il était très protecteur de sa famille. Il se battait souvent, mais c’était une bonne personne qui s’occupait de ses affaires. »

— John Jr Dumont-Cheezo, neveu de Sandy Michel

Ce n’était pas une raison pour le tuer, disent ses neveux. « Les policiers ont la gâchette facile ici. Il nous faudrait des agents plus expérimentés. Pas juste des jeunes qui sortent de l’école. » L’agent le plus aguerri a sept ans d’ancienneté.

DES ENFANTS TÉMOINS

Hier, le lieu du drame était toujours ceinturé d’un cordon policier. La camionnette qui a happé le jeune homme était encore juchée sur la petite butte où les policiers impliqués dans l’incident l’avaient abandonnée. Les traces de sang ont été recouvertes par l’épaisse couche de neige qui tombait encore à gros flocons en fin de soirée. La Sûreté du Québec, chargée de patrouiller dans la réserve en remplacement des agents locaux, était bien visible.

Lence Dumont-Cheezo et sa conjointe Malinda Toski voient la scène de leur maison. Mercredi, leur fille de 3 ans était à la fenêtre lorsque son grand-oncle a reçu une balle dans la tête. Elle a hurlé. Quelques heures plus tard, elle racontait à sa grand-maman dans ses mots d’enfant tout ce dont elle avait été témoin. « Elle se souvenait de tout. Elle a compris ce qui se passait. C’est ça qui me met le plus en colère. Que ma petite file ait vu ça », rage Malinda, 24 ans.

Le fils d’Ilik Panaso, qui a 10 ans, a lui aussi vu son oncle mourir. Il ne l’a pas dit tout de suite à son père. C’est durant notre visite qu’il le lui a avoué. M. Panaso s’est mis à pleurer. « C’est foutu, Lac-Simon ! Je suis découragé de cette communauté. » Le père célibataire songe à s’établir ailleurs.

« À l’entrée du village, il y a une affiche qui dit que ça prend toute une communauté pour élever un enfant. Je n’y crois plus. »

L’ENQUÊTE CONFIÉE AU SPVM

Dans un premier temps confiée à la Sûreté du Québec, l’enquête sur la mort de Sandy Michel sera finalement assurée par le Service de police de la Ville de Montréal. La SQ s’est désistée pour des raisons de transparence après avoir découvert « qu’en cours d’intervention, il y aurait eu communication entre les policiers du Service de police de Lac-Simon et ceux du poste de la MRC de la Vallée-de-l’Or de la Sûreté du Québec ».

LE CONSEIL DE BANDE EN MODE GESTION DE CRISE

Le Conseil de bande de Lac-Simon a mis sur pied une cellule de crise et tient des rencontres « avec des gens du milieu et des ressources externes pour mettre en commun des ressources dans le but de soutenir la famille et les membres de la communauté », lit-on dans un communiqué de presse. « Nous sommes conscients que ce n’est pas seulement en ajoutant du financement que nous allons tout régler les problèmes, écrit la vice-chef Pamela Papatie, mais au moins, si nous pouvons avoir des ressources, nous allons pouvoir nous attaquer aux vrais problèmes. »

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