Portrait

Bon cop, bad cop

2010

Un collaborateur de longue date sollicite une rencontre avec Pierre Lavoie. Il veut lui faire part de son très grand malaise. « Germain était très, très dur avec des jeunes qui sortaient de l’université, qui étaient là pour apprendre et qui étaient payés 40 heures mais en faisaient 90 », nous explique ce collaborateur.

Pierre Lavoie a écouté cette personne, comme plusieurs autres qui lui ont lancé, au fil des ans, le même message. Toujours, il a promis que son directeur général s’amenderait. Car dans le duo Lavoie-Thibault, Germain Thibault semble avoir adopté le rôle du bad cop.

Nous avons recueilli une demi-douzaine de témoignages d’anciens employés et de collaborateurs, qui ont tous quitté l’organisme. En bonne partie à cause de Germain Thibault.

Leurs témoignages allaient dans le même sens et ils employaient parfois les mêmes expressions : Thibault est un homme dur, qui peut traiter rudement son personnel. Toutes les personnes interviewées ont accepté de nous parler à la seule condition que nous protégions strictement leur anonymat, car elles craignaient de subir les représailles de l’organisation.

« Cette façon de traiter les employés… je n’étais pas capable d’accepter ça. J’en ai parlé à Pierre à plusieurs reprises, il m’a toujours dit que ça allait s’arranger. Ça ne s’est jamais arrangé. Pour moi, qui ne dit mot consent »

— Une ancienne collaboratrice

« Il y avait un manque de respect flagrant et Pierre a fait la sourde oreille », ajoute un premier ex-employé.

« Bien des gens qui étaient là n’y sont plus. Parce qu’on a tous été rebutés par Germain et ses façons de faire », poursuit cet employé. Une collègue de ce dernier nous a raconté l’avoir régulièrement vu au bord des larmes après des conversations avec Germain Thibault.

« Ce que j’ai subi était aux limites du harcèlement psychologique, raconte une seconde ex-employée. Si tu ne fais pas partie de sa clique, bonne chance, tu ne resteras pas longtemps. »

Les relations avec certains employés étaient « toxiques », poursuit cette personne. Des membres du personnel étaient régulièrement stigmatisés ou carrément ignorés par leur patron.

« Je suis partie amère. Il avait une façon de traiter les gens avec laquelle je n’étais pas à l’aise, dit une troisième ex-employée. C’était des commentaires insidieux… J’ai longtemps douté de mon travail après les commentaires et les critiques que j’ai reçus là-bas. »

En entrevue, Germain Thibault et Pierre Lavoie nient tout écart de conduite. Vous est-il déjà arrivé de manquer de respect envers vos employés ? « Jamais », nous répond Germain Thibault, ajoutant que ce que nous rapportons, « ça [le] flabbergaste ».

« Je ne suis pas rough, je suis exigeant. On travaille tous très fort et ce n’est pas tout le monde qui est fait pour travailler dans une organisation événementielle, plaide-t-il. Il y en a peut-être qui ont la couenne sensible. C’est sûr que je suis intense, c’est ma personnalité ! »

« Oui, il y a des gens qui sont partis. Mais ceux qui sont partis, ils ont eu de méchantes belles jobs ailleurs », ajoute Pierre Lavoie.

Les deux hommes soulignent que les personnes qui travaillent actuellement au sein de l’organisation y sont depuis plusieurs années et qu’elles bénéficient de conditions de travail enviables. L’organisation compte 25 employés permanents.

Avant la publication de notre article, la direction a rencontré les employés actuels pour les avertir des témoignages que nous comptions publier. Certains d’entre eux ont tenu à communiquer avec nous pour témoigner de leur vision de M. Thibault.

« Je vois plutôt le contraire : des jeunes qui prennent de l’expérience dans une organisation et qui deviennent très bons »

— Anne Vigneault, directrice de la fondation et doyenne des employés

« Je vois une gang heureuse. Pour rien au monde on ne voudrait travailler ailleurs. C’est une organisation inspirante », poursuit-elle.

Le taux de roulement de l’organisation est cependant élevé, admet Mme Vigneault. « Il y a des gens pour qui ce travail-là, ça ne convient pas à leur personnalité. » Elle-même travaille pour la fondation depuis 2010.

Marc Philibert, président du conseil d’administration, se dit lui aussi renversé par ces allégations. « Je suis surpris et troublé », dit M. Philibert. Aucune plainte n’a jamais été déposée au conseil d’administration. Les membres du C.A. ont toujours eu l’impression que l’équipe du GDPL était soudée et heureuse. « Ma fille a travaillé là un été et ç’a été une très belle expérience », dit le comptable Marc Lapierre, trésorier de l’OSBL.

Pourtant, plusieurs personnes qui travaillent dans le grand monde de la santé publique témoignent des manières rudes de Germain Thibault. Elles semblent d’ailleurs, avec le temps, avoir déteint sur Pierre Lavoie.

En 2011, les deux hommes se rendent à Québec pour rencontrer un haut fonctionnaire. « Ils ont débarqué dans le bureau du sous-ministre en le menaçant carrément. C’est toujours la même approche : nous on est gros, on parle au ministre, vous aurez pas le choix de nous aider », raconte une source du milieu.

Et les deux hommes considèrent avec hauteur les autres organismes voués aux saines habitudes de vie. « Ces deux gars-là, ils travaillent tout seuls, dit la nutritionniste Lyne Mongeau, qui a longtemps travaillé au ministère de la Santé. C’est pourtant important, la concertation. On veut que les messages se complètent ! »

Un jour, autour d’une table… de concertation, Pierre Lavoie a durement pris à partie la présidente, l’ancienne plongeuse Sylvie Bernier, ambassadrice de l’organisme Québec en forme. Plusieurs personnes nous ont relaté cette intervention.

« Il a commencé par dire que toute la réunion était une perte de temps. Puis il a dit : “Êtes-vous sûrs que vous avez la bonne présidente ? Moi, je peux faire le front page du Journal de Montréal n’importe quand !” », raconte l’une de nos sources. Jointe au téléphone, Mme Bernier a refusé de commenter ces informations.

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