Portrait

La machine de guerre

2010

C’est la deuxième édition du Grand défi. Comme l’année précédente, Pierre Lavoie veut parcourir en entier les 1000 kilomètres qui séparent Saguenay de Montréal. Trois jours et deux nuits sans dormir, en mangeant la plupart du temps assis sur son vélo. Il n’a que 20 minutes de pause à chaque étape. À ses côtés, son garde du corps de vélo, l’ancien triathlonien Benoît Léveillé, le suit comme une ombre.

« La priorité, aux étapes, c’était la glace. On avait 10 minutes dans un bain de glace, et 2 minutes pour se rendre au départ. Il restait 8 minutes pour manger, se changer, raconte Léveillé. À un moment donné, Pierre m’a dit : “Parle-moi, sinon je vais m’endormir.” »

Pierre Lavoie, résume Léveillé, est « une machine de guerre », dont l’endurance est phénoménale. « Il n’y a pas de douleur qui parvient à l’arrêter. »

Cet exemple hors du commun a poussé des milliers de Québécois à essayer l’exercice, estime Benoît Léveillé. Comme cette dame, qui a participé à l’une des éditions du Grand défi. « Elle n’était pas mince, pas en forme et pas confiante », raconte-t-il. Comme le font la quinzaine d’encadreurs du Grand défi, Léveillé est littéralement allé pousser la dame, pour lui permettre de terminer l’épreuve.

« À la fin, on a dépassé tout le peloton pour qu’elle finisse la course à côté de Pierre. Elle pleurait. Je suis sûr qu’elle pédale encore. »

— Benoît Léveillé, au sujet d’une participante du Grand défi

Certains pédalent, d’autres courent, comme Amélie, Léanne, Sara et Juliette, 8 ans, qui ont participé, au début du mois, à une course à Mont-Saint-Hilaire. Pour eux, dit le professeur d’éducation physique Michel Gauthier, Pierre Lavoie a « une notoriété comparable à celle d’un joueur du Canadien ».

Pour ces enfants, Pierre Lavoie, c’est surtout l’homme des cubes. Le cube d’énergie, qui équivaut à 15 minutes d’exercice, c’est la base de l’empire Lavoie, celui qui est né dans les écoles primaires. Près de 60 % des écoles québécoises sont inscrites à l’opération qui se déroule en mai. En moyenne, l’organisation calcule que les élèves font 16 heures d’exercice par semaine durant le mois des cubes.

UNE FRÉNÉSIE ÉPHÉMÈRE ?

Mais cette frénésie du cube est-elle éphémère ou mène-t-elle à un changement durable ? C’est la question qui déchire les organismes de santé publique depuis l’arrivée de Pierre Lavoie dans le décor. Deux philosophies s’affrontent : le marketing social qui met les gens en mouvement, tel qu’il est mis de l’avant par Lavoie, versus les changements de nature environnementale qui poussent les gens à bouger au quotidien, comme une piste cyclable ou de meilleurs menus dans les écoles, prônés par le ministère de la Santé et plusieurs autres organismes.

« Il y a une grande différence entre pédaler tous les jours pour aller à l’école et accumuler des minutes de cubes pour aller pédaler avec Pierre Lavoie », dit la nutritionniste Lyne Mongeau. « Faire 1000 kilomètres avec des vice-présidents et leurs bicyclettes en carbone… disons qu’on est assez loin des inégalités sociales et du vrai monde. »

Pierre Lavoie rejette ces critiques. « Un jour, un gars me montre sa photo, il dit : “Regarde, c’était moi il y a trois ans. J’ai perdu 70 livres. Ça a commencé avec mes enfants, avec les cubes” », raconte-t-il. L’organisation cherche d’ailleurs à évaluer son impact plus formellement au moyen d’une étude réalisée par le groupe de recherche CIRANO.

En attendant, la machine Pierre Lavoie continuera d’en mettre plein la vue aux Québécois. Du véhicube qui fait le tour des écoles aux applications pour tablette pour calculer la valeur nutritive des aliments, en passant par le bilan santé dans les entreprises et les carnets d’ordonnances pour les médecins, le cube est partout.

Des Français venus il y a deux ans voir les réalisations du Grand défi sont repartis émerveillés. Pour eux, l’organisation se résumait par une formule, raconte Germain Thibault. « C’est le Walt Disney des saines habitudes de vie. »

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