Portrait

L’effet Lavoie

2007

Cette année-là, Pierre Lavoie recrute une dizaine de bénévoles de l’usine de la Consolidated Bathurst où il travaille sur une machine à papier. Deux ans plus tôt, sur l’insistance d’un écolier qui voulait rouler à vélo avec lui, il a créé l’ancêtre des cubes énergie. Maintenant, il veut aller plus loin. Il lance donc un défi à ses collègues : construire une scène, qu’on pourra démonter et chauffer, qui se déplacera dans les écoles du Québec pour inciter les écoliers à bouger.

Les 12 gars de la Consol recrutés par le comptable à la retraite Laurier Tremblay acceptent. Et Pierre Lavoie s’attaque alors à la tâche où il excelle le plus : convaincre.

À l’époque, Pierre Lavoie n’est pas très connu hors du Saguenay. Peu de gens connaissent son défi de vélo. Il est allé voir l’entreprise Chlorophylle, les fabricants de vélo Devinci et l’organisation du Canadien de Montréal. Il leur a parlé de sa scène mobile.

Et il les a convaincus.

Chlorophylle a conçu de toutes pièces un « manteau » pour habiller la scène. Des dizaines de panneaux de tissu, assemblés avec des fermetures éclair. On y installait 12 vélos stationnaires, gracieuseté de Devinci, couplés à des ordinateurs qui rendaient l’expérience ludique, dont le logiciel a été développé par le Canadien de Montréal.

« Les enfants arrivaient en short et ils faisaient du vélo ! À -30, en Abitibi ! », rigole Laurier Tremblay. L’anecdote illustre à merveille le formidable pouvoir de conviction de Pierre Lavoie.

Philippe Gagnon, ancien nageur paralympique, a été l’un des tout premiers employés du Grand défi Pierre Lavoie (GDPL). Il a vu de très près les effets du charisme de son patron. « C’est un René Lévesque, un Barack Obama. Sa capacité de convaincre est exceptionnelle. »

« On arrivait dans un village pour convaincre un maire de supporter le 1000 km. Le maire n’a rien à gagner, au contraire : il faut qu’il fasse travailler des fonctionnaires à minuit ! »

— Philippe Gagnon

« Il parle de tout, des enfants, de la société… Et à la fin, il dit : "Bon, on va arriver chez vous à 3 h du matin. Êtes-vous prêts à nous accueillir ?" »

Même lorsqu’il n’était qu’un simple employé aux cuves chez Rio Tinto, Lavoie savait comment être convaincant. Jeanne Lavoie – aucun lien de parenté – , responsable des communications pour le géant de l’aluminium au Saguenay, l’a aidé à persuader Rio Tinto de lui donner un congé sans solde pour se consacrer à son œuvre.

« Même le syndicat était contre sa libération, raconte Mme Lavoie. Je me suis battue. Je suis montée à Montréal avec lui. Je trouvais que sa cause était bonne. »

Depuis des années, Pierre Lavoie est l'un des conférenciers les plus populaires au Québec. Son allocution, dans laquelle il aborde sa jeunesse, la mort de ses enfants, pour déboucher sur les problèmes de santé publique du Québec, a subjugué les médecins omnipraticiens il y a trois ans.

« Tout le monde a été renversé par sa présentation. Après cinq minutes, on entendait une mouche voler. Tout le monde avait la gorge serrée »

— le DLouis Godin, le président de la Fédération des médecins omnipraticiens (FMOQ)

Un an plus tard, quand Lavoie a rappelé Godin pour lui proposer des carnets d’ordonnances aux couleurs du GDPL, le président de la FMOQ a tout de suite dit oui. En échange d’une commandite dont on dit qu’elle frôle le million de dollars, les médecins peuvent donc prescrire des cubes énergie à leurs patients.

Louis Godin refuse de confirmer le niveau de la commandite. Mais pour lui, c’est une bonne affaire. « Peu de gens ont autant influencé la société, dit-il. Il a un effet contaminant extraordinaire. »

Le ministre de la Santé de l’époque, Yves Bolduc, lui aussi originaire de Saguenay, était tellement enthousiasmé par Lavoie qu’il avait demandé qu’on subventionne le Grand défi entreprises, une société privée créée par Lavoie.

« J’avais demandé à ce qu’on regarde ça », confirme Bolduc. C’est un ex-fonctionnaire, le ton catastrophé, qui nous a relaté l’épisode. « Il a fallu qu’on explique au ministre que le ministère de la Santé ne pouvait pas financer une entreprise privée ! »

L’effet Lavoie opère sur tout le monde. Sur les entreprises, qui sont de plus en plus nombreuses à commanditer des équipes pour le Grand défi, dont les fonds reviennent entièrement aux écoles. La Presse a d’ailleurs participé à deux reprises à l’événement.

Dans sa région natale, évidemment, où Lavoie a atteint la stature d’une véritable icône. « Au Saguenay, Pierre Lavoie, c’est un demi-dieu pour le monde », résume Denis Bouchard, éditeur du journal Le Quotidien.

Même dans les hautes sphères du Québec, rares sont ceux qui résistent à Pierre Lavoie, dit Laurier Tremblay. « Il appelle au bureau du premier ministre et dans l’heure qui suit, on le rappelle. J’en ai été témoin, et pas juste une fois. Les présidents de compagnie, c’est la même chose. Je n’ai jamais vu quelqu’un avoir un paquet de cartes d’affaires aussi volumineux. Personne ne peut lui dire non. »

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