ÉDITORIAL QUOTAS DE MUSIQUE FRANCOPHONE

Le mourant est quand même en forme

Pour une industrie qui « marche vers la mort », comme le prétend le CRTC, la radio va plutôt bien.

Dans son discours d’adieu mardi, le président sortant Jean-Pierre Blais a souhaité la fin progressive des quotas de musique francophone pour la radio commerciale.

Selon lui, les quotas deviendraient inutiles, car les jeunes ne découvriraient plus la musique par la radio. Et les quotas seraient même nuisibles, car ils renforceraient les radios ordurières dans la néanmoins très belle ville de Québec.

Appuyons sur pause.

On se frotte les yeux et on reprend du début pour démêler l’argumentaire. M. Blais prétend que : 

 – les radios commerciales seraient en difficulté financière ;

 – ces difficultés seraient causées par les quotas de musique francophone ;

 – pour contourner cette difficulté, elles opteraient pour le format parlé ;

 – si elles optent pour ce format, elles diffuseront des émissions de type radio-poubelle.

M. Blais n’a pas démontré que les quotas seraient inutiles. Au contraire, la radio reste la principale source de découverte musicale au Québec. Et il n’a pas démontré non plus que les quotas menacent la viabilité de nos radios.

Il est vrai que les sites d’écoute en continu livrent une concurrence féroce, mais la bonne vieille radio s’adapte assez bien, car elle est gratuite et se décline facilement sur toutes les plateformes. Les chiffres le démontrent : nos stations restent profitables.

Il est aussi vrai que les jeunes migrent vers la radio anglophone et vers l’écoute personnalisée en ligne. Mais est-ce vraiment à cause de la langue ? Une autre hypothèse devrait être testée : celle que les jeunes seraient rebutés par des choix musicaux aussi rafraîchissants qu’un gruau oublié sur le comptoir.

Enfin, M. Blais n’a pas démontré que les quotas inciteraient les radios privées à faire plus d’émissions de type poubelle pour hausser leurs revenus ; vomir des imbécillités n’est pas le seul modèle d’affaires.

Bref, on ne peut conclure que les quotas sont inutiles ou trop nuisibles ni que leur abolition réduirait la haine radiophonique.

Ce débat a des airs de déjà-vu. Dans les années 80, bien avant Spotify ou YouTube, des stations réclamaient qu’on allège les quotas. Et aujourd’hui, leur appétit est encore plus grand. Comme l’avouait le vice-président d’une chaîne privée la semaine dernière à notre collègue Alain Brunet, les stations sont désormais « possédées par de grands groupes qui doivent répondre à leurs actionnaires » qui exercent une pression « énorme ».

Reste qu’il y a une différence entre moins faire d’argent et en perdre. Le CRTC n’a pas à écraser la diversité culturelle pour mieux huiler l’industrie.

M. Blais se trompe de malade. Ceux qui souffrent de la révolution numérique ne sont pas les diffuseurs de musique. Ce sont ceux qui font la musique.

Nos artistes sont confrontés à deux défis immenses : être vus sur les nouvelles plateformes et y être payés plus que des miettes de peanuts. Tout le monde cherche cette solution miracle. Cette quête reste la priorité, mais elle n’a pas besoin de se faire aux dépens des quotas. L’un ne doit pas exclure l’autre.

***

Le mandat de M. Blais a été marqué par une approche proconsommateur. Dans plusieurs secteurs, c’était tout à fait justifié. L’accès à l’internet, un service désormais essentiel, reste trop lent, coûteux et inégal. Il a aussi protégé la neutralité de l’internet et stimulé la concurrence dans la téléphonie cellulaire. Pour cela, on doit le remercier.

Mais cette approche ne convient pas à la musique. Malgré tous les clichés sur l’information qui voudrait circuler sans entrave dans l’utopie numérique, un principe demeure : une chanson, ce n’est pas un toaster. Cela construit une culture. Cela mérite d’être défendu.

Il ne s’agit pas d’un atavisme québécois. Depuis 1996, la France s’inspire de nos quotas. Et plusieurs autres pays, comme l’Irlande, le Portugal, les Pays-Bas ou le Nigeria, exigent aussi un contenu national.

Avant d’éliminer les quotas, il faudra démontrer que la survie de nos radios en dépend. On attend encore la preuve.

Nommez un vice-président !

La consultation du CRTC sur les quotas a été interrompue en novembre 2015 par le départ d’un vice-président francophone. Elle n’a pas repris, car le gouvernement Trudeau n’a pas encore nommé de successeur permanent.

Quand les libéraux se réveilleront, le débat pourra se faire sur les quotas et la façon de les mesurer. Par exemple, faut-il limiter les « montages » où on enchaîne sans pause de longs extraits de tubes en anglais afin que le résultat ne compte que pour une chanson ? Et devrait-on exiger un minimum d’artistes dits « émergents », afin que les auditeurs entendent autre chose qu’une vedette qui n’a pas besoin de se payer un deuxième chalet ?

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