La Presse en Nouvelle-Angleterre

« BERNIE SANDERS N’A PAS CHANGÉ, C’EST LA RÉALITÉ

QUI L’A RATTRAPÉ »

VERMONT ET NEW HAMPSHIRE  — Cheveux blancs, complet sombre, l’homme derrière le lutrin brandit son index dans un geste professoral en lançant sa question : « Qui parmi vous a une dette d’études à rembourser ? »

Une forêt de mains se dresse devant la scène du théâtre de Manchester où se tient une ultime assemblée avant la primaire du New Hampshire. Les réponses fusent. « Moi, c’est 130 000 $ ! » « Mon diplôme m’a coûté 200 000 $ ! »

À mes côtés, Michael Whitehead soupire. À 34 ans, il aimerait bien fonder une famille. « Mais comment ferons-nous pour éduquer nos enfants ? Les droits de scolarité sont déments ! »

En arrivant au rassemblement pro-Sanders, cet enseignant de secondaire n’était pas sûr de vouloir appuyer le sénateur du Vermont à l’investiture démocrate. Mais plus le temps avance, plus il opine de la tête.

Le candidat socialiste interroge ensuite l’assistance sur les franchises que leur imposent les compagnies d’assurances avant de rembourser leurs frais médicaux. Les chiffres sont sidérants : jusqu’à 12 000 $ par an !

Bernie Sanders promet de remplacer cette couverture pleine de trous par un régime public universel. Il évoque les congés de maternité, les garderies. Finalement, Michael Whitehead est conquis : il votera pour Bernie.

Quand il s’est lancé dans la course à l’investiture démocrate, au printemps, le sénateur de 74 ans semblait condamné à jouer dans la marge. Les premiers sondages lui accordaient des miettes et Hillary Clinton paraissait voguer vers un couronnement.

Mais avec 60 % des voix au New Hampshire, Bernie Sanders ne peut plus être considéré comme un joueur marginal.

Comment expliquer sa popularité ? Quand on pose la question à ses partisans, les réponses les plus fréquentes sont : Bernie Sanders est authentique, il veut aider les gens, il parle de ce qui nous préoccupe vraiment.

« Bernie sait combien coûte une miche de pain », résume Huck Gutman, vieil ami du sénateur du Vermont qui a été son chef de cabinet à Washington.

LA COQUELUCHE DES JEUNES

Avec sa silhouette un peu voûtée et son pas traînant, Bernie Sanders, c’est un peu monsieur Tout-le-Monde. Rares sont les habitants de Burlington qui ne l’ont pas croisé, rue Church, avec sa femme Jane ou l’un de leurs sept petits-enfants. Mais aujourd’hui, sa capacité de rejoindre les électeurs a largement franchi les frontières du Vermont.

« Depuis que je le connais, Bernie s’indigne que les riches deviennent plus riches, alors que les pauvres deviennent plus pauvres. Mais aujourd’hui, les gens sont prêts à l’entendre. »

— Huck Gutman, ami et ancien chef de cabinet du sénateur

« Bernie Sanders n’a pas changé, c’est la réalité qui l’a rattrapé », renchérit Greg Guma, journaliste et militant progressiste à Burlington. Une réalité qui frappe durement les jeunes qui ne voient pas le jour où ils pourront voler de leurs propres ailes.

Après sa défaite au New Hampshire, Hillary Clinton a reconnu avoir du mal à rejoindre cette frange de l’électorat qui se range massivement derrière Bernie Sanders.

Prenez Esia Rosenberg, enseignante de 24 ans qui verse 500 $ par mois pour rembourser sa dette d’études. « C’est plus que ma paie hebdomadaire ! » Mardi, elle a voté pour Bernie Sanders, qui promet d’abolir les droits de scolarité.

« Tous mes amis appuient Bernie Sanders », confirme Annie Clymer, étudiante en littérature croisée dans une librairie de Burlington. « Nos parents avaient peur du mot "socialisme", mais pour ma génération, être socialiste, ça veut dire être différent. » Et pour elle, pas de doute : Bernie Sanders est différent.

LE MILITANT

Né à New York de parents juifs originaires d’Europe centrale, Bernie Sanders a étudié les sciences politiques avant de monter vers le Vermont – comme d’autres New-Yorkais l’ont fait à la fin des années 60.

Greg Guma le croise en 1971, alors que Bernie Sanders amorce sa première course électorale, briguant le poste de sénateur du Vermont pour le parti Liberty Union, opposé à la guerre du Viêtnam.

Greg Guma aborde Bernie Sanders en l’interrogeant sur ses origines.

« Qu’importe qui je suis, ce sont mes idées qui comptent. »

— Bernie Sanders en réponse sur ses origines juives, en 1971, lors de sa première course électorale

« Pour lui, parler de sa vie personnelle, c’était une perte de temps, se souvient Greg Guma. Quand j’ai insisté, il m’a dit qu’il n’avait pas besoin de mon vote ! » Le candidat Sanders finira cette élection avec 3 % des voix…

Ses amis décrivent Bernie Sanders comme un homme entièrement voué à son combat contre les inégalités. Professeur de philosophie, Richard Sugarman a brièvement cohabité avec Bernie Sanders dans les années 70.

Il décrit un coloc « intense » qui voulait changer le monde avant d’avoir pris son café matinal. « Son cerveau ne cessait jamais de tourner. »

C’est Richard Sugarman qui convainc Bernie Sanders de se lancer dans la course à la mairie comme candidat indépendant, en 1981.

À la surprise générale, Sanders remporte l’élection par… 10 voix. L’establishment de Burlington a réagi « comme si Léon Trotski était arrivé au pouvoir », ironise Richard Sugarman.

Mais les sceptiques ont été confondus. En huit ans, le maire Sanders aménage les berges du lac Champlain, protège le centre-ville de Burlington et transforme cette ville qui interdisait les concerts rock en un centre de bouillonnement culturel.

« Bernie Sanders n’est pas vraiment radical, il est proche des idées de Franklin Roosevelt, il ramène le Parti démocrate à ses racines », analyse Greg Guma.

Un autre proche de Bernie Sanders, l’avocat John Franco, souligne que le sénateur du Vermont s’est inspiré des idées du Parti québécois et de celles des néo-démocrates canadiens.

ET MAINTENANT ?

Socialement réservé, longtemps cérébral, Bernie Sanders a appris à toucher les émotions, dit Greg Guma. « Et il a appris à sourire. » Ce qui lui a permis de gagner 14 des 20 courses électorales de sa longue carrière politique.

Une majorité d’analystes estiment qu’il a atteint son apogée au New Hampshire et que son étoile pâlira dès que les primaires se déplaceront vers les États comptant plus de Noirs – qui appuient massivement Hillary Clinton.

« Ceux qui me sous-estiment le font à leurs périls », avait dit Bernie Sanders avant d’être élu à la mairie de Burlington, rappelle l’avocat John Franco.

L’histoire dira si les analystes auront tort ou raison, cette fois-ci.

TROP VIEUX POUR ÊTRE PRÉSIDENT?

S'il devait se rendre jusqu'à la Maison-Blanche, Bernie Sanders, 74 ans, deviendrait le plus âgé des présidents à entrer en fonction, devant Ronald Reagan qui avait 69 ans à sa prestation de serment. Mais c'est aussi le cas du républicain Donald Trump, qui aura 70 ans en juin. Hillary Clinton, elle, fêtera ses 69 ans en octobre.

LA PRESSE EN NOUVELLE-ANGLETERRE

BERNIE SANDERS, L’ ANTISTAR

Avec ses 74 ans bien sonnés, ses complets élimés et les discours qu’il martèle depuis plus de quatre décennies, il pourrait passer pour un vieux radoteur. Mais pour ses partisans, Bernie Sanders représente plutôt un vent de renouveau et de fraîcheur. Portrait d’un politicien atypique qui vient de gagner haut la main la primaire démocrate du New Hampshire – un exploit qui paraissait impensable il y a tout juste quelques mois.

UN DOSSIER DEAGNÈS GRUDA

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