De moins en moins de la petite bière

Le boom des microbrasseries et des bistros-brasseries (broue-pubs) est tel qu’il n’y a jamais eu autant d’entreprises brassicoles au Canada. En fait, on compte maintenant près de 600 brasseries au pays, deux fois plus qu’il y a six ans.

« C’est simple : l’offre suit la demande », explique l’expert en bière Philippe Wouters. Il y a actuellement un peu plus de 130 microbrasseries et bistros-brasseries au Québec, contre 31 en 2002. À l’exception du Nord-du-Québec, chaque région abrite désormais au moins un établissement du genre.

La multiplication des petits brasseurs fait en sorte que l’amateur a désormais l’embarras du choix.

« Environ 800 bières différentes produites par des microbrasseries sont disponibles sur les tablettes des détaillants québécois, dont environ le quart change chaque année. »

— Philippe Wouters

Les petits brasseurs québécois ont vendu 48,6 millions de litres de bière au cours de l’année financière qui a pris fin le 31 mars. C’est 29 % de plus qu’il y a cinq ans et 66 % de plus qu’il y a 10 ans. Cette progression est d’autant plus impressionnante que le marché de la bière rétrécit au profit du vin. 

Les microbrasseries et les bistros-brasseries occupent désormais 8 % du marché québécois, contre 6 % il y a cinq ans et 5 % il y a 10 ans. Ils veulent maintenant rattraper leurs homologues américains, qui détiennent 11 % du marché. Leur rêve : se rendre jusqu’à 15 %.

Pour l’économie des quartiers des grandes villes et pour celle des régions, le succès des microbrasseries et des bistros-brasseries est une excellente nouvelle puisque plusieurs d’entre eux sont devenus des attraits touristiques. « Nous créons beaucoup plus d’emplois par hectolitre produit que les grands brasseurs », relève Frédérick Tremblay, président de la MicroBrasserie Charlevoix. Au Québec, environ 1000 personnes travaillent dans les microbrasseries et bistros-brasseries alors qu’on compte quelque 2600 salariés chez les grands brasseurs.

LES GRANDS BRASSEURS À L’AFFÛT

Les trois grands brasseurs qui dominent le marché canadien – Molson Coors, Labatt (Anheuser-Busch InBev) et Sleeman-Unibroue (Sapporo) – ne restent pas impassibles devant la montée des microbrasseries, au contraire. Ils se servent de leurs moyens financiers imposants pour conserver leur mainmise sur les tablettes des supermarchés, les réfrigérateurs des dépanneurs, les stands dans les festivals, les pompes à bière dans les bars et les restaurants.

« Je comprends qu’il faut tenir de la Coors Light, mais est-ce vraiment nécessaire d’en avoir autant dans chaque magasin ? », demande Isaac Tremblay de la microbrasserie Le Trou du diable de Shawinigan.

« Les grands peuvent faire des avances en argent de 200 000 $ pour financer l’ouverture d’un bar, relate Jacques Sirois, PDG des Brasseurs du Nord (Boréale). En plus, ils cassent les prix, alors c’est très difficile pour nous d’accoter ça. » M. Sirois rappelle que l’automne dernier, Labatt a offert des sommes substantielles à la salle de spectacle Le Cercle de Québec pour évincer les Brasseurs du Nord et les Brasseurs RJ (Belle Gueule, McAuslan, etc.) de ses pompes à bière.

De plus, Molson et Labatt ont brouillé les cartes et confondu bien des consommateurs en mettant la main sur plusieurs microbrasseries au fil des ans : Alexander Keith’s, Rickard’s, Creemore Springs, Granville Island… Sans compter les innombrables bières importées que les grands brasseurs distribuent et qui gagnent en popularité depuis 2007.

« À la blague, je suggère aux microbrasseries québécoises de dire que leurs produits sont importés d’ici », lance M. Wouters.

Le sujet est tabou, mais le nombre grandissant de microbrasseries fait en sorte que la concurrence s’intensifie entre elles. « Ça commence à jouer du coude », reconnaît Frédérick Tremblay, qui est aussi président de l’Association des microbrasseries du Québec. Heureusement, des marchands propriétaires affiliés aux grandes chaînes de supermarchés font de plus en plus de place aux bières de microbrasseries, y compris dans les réfrigérateurs, très prisés. Chez IGA, les ventes de ces produits ont crû de plus de 50 % au cours de la dernière année.

Malgré les tensions ponctuelles, la solidarité demeure très forte entre les petites et les « grandes » microbrasseries. Pour accroître l’espace global réservé aux microbrasseries, les Brasseurs du Nord font parfois entrer les produits d’un concurrent sur les tablettes de certains détaillants. « Seul, je peux aller plus vite, mais ensemble, nous pouvons aller plus loin », souligne le PDG de la microbrasserie de Blainville, qui appartient au Fonds de solidarité FTQ depuis 2013.

MICROBRASSERIE

Brasserie dont la production ne dépasse pas 30 millions de litres par année. Aux États-Unis, le seuil est de 700 millions de litres. Au Québec, les Brasseurs RJ/McAuslan produisent environ 17 millions de litres de bière par année alors que Molson Coors en produit 340 millions.

BISTRO-BRASSERIE (BROUE-PUB)

Brasserie dont la principale activité est de vendre de la bière pour consommation sur place.

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