PME Innovation

L’urne qui prend racine

L’innovation

Muses Urnes Design a créé une urne funéraire biodégradable qui, une fois enfouie, favorise la germination et la croissance d’un arbre.

Il a fallu plus d’un an de recherche à une équipe multidisciplinaire pour faire éclore le projet.

Et ce n’est pas un marché de niche !

Qui ?

Sentant vibrer la corde entrepreneuriale, Marie-Claude Lemire avait suivi un programme court de deuxième cycle en entrepreneuriat à l’UQAM.

Mais pour faire quoi ?

L’idée d’une urne funéraire sobre et esthétique ne l’avait pas quittée depuis la mort de son beau-père, une quinzaine d’années plus tôt.

En 2016, à 45 ans, la mère de quatre enfants a quitté un emploi stable pour fonder Muses Urnes Design.

Elle a d’abord lancé une gamme d’urnes artistiques, tout en s’intéressant au principe d’une urne biodégradable qui favoriserait la croissance d’un arbre commémoratif.

Elle en a confié la conception à INEDI, le centre collégial de transfert de technologie (CCTT) spécialisé en design industriel du cégep régional de Lanaudière à Terrebonne.

« ll y a trois CCTT qui ont collaboré au projet. Ça n’a l’air de rien, mais c’est vraiment un projet de recherche et d’innovation parce qu’au terme de cette année et demie de développement, il y a quand même un biomatériau qui a été créé. Ce n’est pas rien. »

— Marie-Claude Lemire

Le produit

L’équipe de designers industriels a proposé un sobre contenant cylindrique moulé en matériaux biodégradables, surmonté d’un capuchon en argile. « Les cendres humaines ont un pH très élevé, indique Marie-Claude Lemire. Au départ, ça peut faire brûler les racines de la plantule. Le mandat d’INEDI était entre autres de trouver le matériau qui peut neutraliser ce pH et qui va favoriser la croissance de l’arbre. »

Avec le soutien de Samira Chbouki, enseignante et chercheuse au département d’horticulture du cégep de Lanaudière, l’équipe a testé une centaine de combinaisons de matières – asclépiade, chaux, avoine, maïs…

La combinaison gagnante : chaux dolomitique et marc de café recyclé.

Couvercle et monument

L’urne Roots peut être enfouie pour ne laisser apparaître que son couvercle.

« La partie supérieure, en argile naturelle qui va se dégrader au fil du temps, sert au départ de repère pour l’arbre, et de monument-hommage pour la personne, décrit l’entrepreneure. La partie du bas, qui contient les cendres, se biodégrade en deux semaines. »

Percé d’une ouverture, le couvercle peut accueillir un petit pot dégradable où le plant entreprendra sa germination.

L’ensemble comprend une pastille de nutriments et les semences de trois essences – un conifère et deux feuillus –, sélectionnées en fonction des zones de rusticité par la chercheuse en horticulture.

La fabrication

Le couvercle en argile est fabriqué par un sous-traitant montréalais, mais le contenant en biomatériaux est moulé par Marie-Claude Lemire elle-même, dans le minuscule local qu’elle loue en périphérie du quartier Rosemont–La Petite-Patrie.

Dans une casserole, l’entrepreneure-chimiste-cuistot fait fondre sa colle écologique en y ajoutant la chaux et le marc de café recyclé. Elle applique la mixture à la main sur les parois de la partie concave d’un moule d’acier. Avec une petite presse hydraulique de 30 tonnes, elle y enfoncera ensuite la partie convexe pour faire fluer la pâte entre les parois du moule, où elle se figera.

Problèmes et solutions

« Pour passer d’un prototype à une production semi-commerciale, la marche est haute, confie-t-elle. Le matériau collait dans le moule. Ç’a été cinq ou six mois parsemés d’obstacles. »

Appelé à la rescousse, le Centre de métallurgie du Québec – lui aussi un CCTT – a recommandé un placage en nickel.

Marie-Claude Lemire assure pouvoir mouler ainsi une vingtaine de pièces par jour.

« Pour arriver à une production plus standardisée, il faudra aller à une étape supérieure », reconnaît-elle.

L’avenir

Sur le marché depuis juin dernier, l’urne Roots a remporté ex æquo le prix Développement durable et écodesign des Grands Prix du design du Québec, en 2018.

Marie-Claude Lemire a conclu une entente avec un important distributeur de produits funéraires qui couvre le Québec, l’Ontario et les Maritimes, où l’urne peut être livrée en 24 heures.

Elle espère réaliser 300 ventes au cours de la première année, un millier l’année suivante, et doubler ensuite la production.

L’entrepreneure est en discussion avec l’alliance Neo funéraire en France et prévoit s’attaquer sous peu aux marchés américain et britannique. Une version réduite pour animaux de compagnie est aussi offerte – un marché florissant aux États-Unis.

« Si, dans cinq ans, je m’aperçois que financièrement, ce n’est pas rentable, qu’on n’est pas sortis du tunnel, je ne le verrai jamais comme un échec. Pour moi, c’est un projet de vie. »

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