espérance de vie

Un déclin surprenant

Après avoir fait des progrès spectaculaires depuis un siècle, l’espérance de vie suscite l’étonnement en déclinant pour la première fois depuis des décennies tant en Europe qu’aux États-Unis. Pause normale ou signal d’alarme ? Pendant que les soupçons se portent tant sur les opioïdes et l’obésité que sur les mesures d’austérité et les inégalités sociales, le Québec échappe pour l’instant au phénomène. Coup d’œil sur un indicateur qui se révèle un formidable miroir des sociétés.

un mois et six jours en moins

78,8 ans. C’est l’âge moyen que pouvait rêver d’atteindre un bébé né en 2015 aux États-Unis. Il s’agit d’un progrès spectaculaire considérant que l’espérance de vie n’y était que de 47,3 ans en 1900. Le hic : c’est un recul d’un mois et six jours par rapport à 2014. Cette baisse, une première depuis 1994 aux États-Unis, a attiré l’attention des experts. Fait intrigant, elle est survenue au moment même où l’Union européenne accusait un premier recul de l’espérance de vie de ses citoyens depuis qu’elle compile ces statistiques (une baisse de 80,9 à 80,6 ans de 2014 à 2015). Le Québec ? Pour l’instant, il échappe à la tendance. En 2016, l’espérance de vie y a encore augmenté, pour atteindre 80,8 ans chez les hommes, et 84,5 ans chez les femmes.

Prévisions à la hausse

Dans les boules de cristal des scientifiques, pourtant, aucun déclin n’était prévu. L’hiver dernier, le prestigieux magazine The Lancet a publié des scénarios qui prédisaient que l’espérance de vie de 35 pays industrialisés continuerait de grimper d’ici 2030. « Nous n’en sommes pas arrivés à un arrêt des progrès, tranche Nadine Ouellette, professeure adjointe au département de démographie à l’Université de Montréal. Dans plusieurs pays où l’espérance de vie est nettement plus élevée qu’aux États-Unis, l’augmentation se poursuit sans relâche – le Japon et la Corée du Sud sont sans doute les exemples les plus probants. » Les légères baisses observées en Europe et aux États-Unis n’étaient donc pas attendues. Et pour l’instant, elles n’ont pas été expliquées formellement. « Des études sont en cours et elles sont requises », dit la professeure Ouellette, qui explique que les causes pourraient être multifactorielles et différer selon les pays.

Un rythme plus lent

Même si on s’attend à ce que l’espérance de vie continue de grimper, le rythme des progrès accomplis pendant le XXe siècle ralentit. L’explication est essentiellement… mathématique. C’est que jusqu’au début des années 2000, les gains de l’espérance de vie étaient surtout attribuables à la diminution de la mortalité infantile. « Comme l’espérance de vie est une moyenne, sauver un bébé et lui donner 50 ou 60 ans de vie fait une contribution énorme », illustre la professeure Ouellette. Aujourd’hui, c’est surtout en prolongeant la vie des personnes âgées qu’on améliore l’espérance de vie. Mathématiquement, les quelques années ainsi gagnées font pencher la balance de façon moins prononcée.

Des accrocs statistiques ?

Parce que l’espérance de vie fluctue aujourd’hui selon l’état de santé des personnes âgées, Nadine Ouellette explique qu’elle est susceptible d’augmenter de façon plus irrégulière. « On parle d’une population fragile. Il suffit d’une saison grippale caractérisée par des souches plus meurtrières, d’une grande canicule ou d’un hiver rigoureux pour avoir une plus grande mortalité chez les personnes âgées », explique-t-elle. Il est ainsi possible que les baisses observées en 2015 ne soient que des accrocs à une tendance qui demeure à la hausse. Aux États-Unis, des déclins similaires se sont d’ailleurs déjà produits, le dernier datant de 1994.

Opioïdes

Il reste que l’espérance de vie est un reflet de la santé d’une population et que la voir diminuer suscite des questions. Aux États-Unis, un phénomène en particulier est au banc des accusés : l’épidémie de surdoses provoquées par les opioïdes. En 1999, ces surdoses touchaient 1,4 Américain sur 100 000. En 2015, c’était 7 sur 100 000 – exactement cinq fois plus. Ces morts sont tragiques et touchent souvent des jeunes, ce qui peut plomber rapidement l’espérance de vie. Robert Bourbeau, professeur émérite au département de démographie de l’Université de Montréal, estime d’ailleurs que le phénomène pourrait finir par infléchir l’espérance de vie au Canada. « Il n’y a pas de tendance à la baisse au Canada, mais il faut surveiller la mortalité excédentaire liée au fentanyl et autres drogues », a-t-il dit à La Presse.

Obésité

C’est l’autre grand coupable souvent évoqué. L’obésité se répand, fait grimper les risques de maladies cardiovasculaires et provoque une explosion des cas de diabète. L’experte Nadine Ouellette doute cependant qu’elle puisse expliquer les baisses observées. « L’obésité affecte davantage l’espérance de vie en bonne santé que l’espérance de vie pure et dure. Les démographes aiment dire que le tabac tue, mais que l’obésité rend malade », dit-elle, précisant qu’il faut quand même prendre le problème au sérieux d’un point de vue de santé publique.

Austérité

Au Royaume-Uni, l’affaire a fait grand bruit. Alors que l’espérance de vie y plafonne depuis 2010, Michael Marmot, directeur de l’Institut pour l’équité en santé au University College London, a observé que la stagnation coïncide avec l’arrivée… des mesures d’austérité. « Je m’inquiète profondément du fait que si nous ne finançons pas adéquatement les soins de santé et les services sociaux, les gens vivront beaucoup plus mal », a-t-il dit à des médias britanniques. « Je pense effectivement qu’il peut y avoir une relation assez étroite », juge Nadine Ouellette, qui rappelle que les mesures d’austérité ont souvent des impacts sur les gens les plus vulnérables et peuvent donc faire fléchir l’espérance de vie.

Inégalités sociales

Autre preuve que l’espérance de vie est un miroir de la société, les inégalités sociales grandissantes sont aussi montrées du doigt pour expliquer son déclin. Aux États-Unis, un fossé de 20 ans s’est creusé entre les comtés où l’espérance de vie est la plus élevée (87 ans dans certains endroits du Colorado) et ceux où elle est la plus faible (67 ans dans certains comtés du Dakota du Nord et du Sud comptant une forte proportion d’autochtones). Le taux d’homicides, qui a fait un bond entre 2014 et 2015 aux États-Unis, est aussi sous la loupe des experts.

Un palmarès changeant

Selon une étude parue dans The Lancet, les Sud-Coréens sont appelés à devenir les champions de l’espérance de vie d’ici 2030.

Pays où les femmes vivaient le plus longtemps en 2010

Japon

France

Espagne

Suisse

Australie

Corée du Sud

Canada

Suède

Finlande

Autriche

Pays où les femmes vivront le plus longtemps en 2030

Corée du Sud

France

Japon

Espagne

Suisse

Australie

Portugal

Slovénie

Italie

Canada

Pays où les hommes vivaient le plus longtemps en 2010

Australie

Suisse

Suède

Japon

Canada

Nouvelle-Zélande

Italie

Pays-Bas

Norvège

Espagne

Pays où les hommes vivront le plus longtemps en 2030

Corée du Sud

Australie

Suisse

Canada

Pays-Bas

Nouvelle-Zélande

Espagne

Irlande

Norvège

Italie

L’Afrique à la traîne

Les pays où l’espérance de vie est la plus faible sont tous situés en Afrique subsaharienne

Sierra Leone : 50,1 ans

Angola : 52,4 ans

République centrafricaine : 52,5 ans

Tchad : 53,1 ans

Côte d’Ivoire : 53,3 ans

Sources : Organisation mondiale de la santé, The Lancet

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