Chronique 

Madonna, le sexe et l’âge

« Ce que j’ai fait de plus controversé dans ma carrière, c’est d’être restée. Michael est parti, Tupac aussi. Prince, Whitney et Amy Winehouse sont partis. David Bowie est parti. Et moi, je suis encore ici. »

Ainsi parlait Madonna, choisie femme de l’année par le magazine Billboard, la bible de l’industrie de la musique, vendredi dernier. Ceux qui s’attendaient à des remerciements polis et reconnaissants de sa part ont dû avaler de travers. D’entrée de jeu, Madonna a donné le ton en déclarant avec ironie : « Je suis debout devant vous en tant que carpette. Non, je veux dire en tant qu’amuseuse féminine. »

Ce n’était que le début d’un discours sans compromis ni complaisance où Madonna a aligné les vérités brutales à l’égard d’une industrie et d’un monde foncièrement misogynes, qui l’ont traitée tour à tour de pute, de sorcière et de chienne.

« Merci de reconnaître ma capacité à mener ma carrière pendant 34  ans en dépit du sexisme, de la misogynie, de l’intimidation et des abus continuels dont j’ai été l’objet », a-t-elle poursuivi, racontant, entre autres, avoir été violée à la pointe d’un couteau sur le toit d’un édifice en 1979 à New York, alors qu’elle venait à peine de s’installer dans la Grosse Pomme.

De mémoire, Madonna n’a jamais, ou alors très rarement, évoqué publiquement ce viol dont elle aurait été victime. On ne saura jamais si elle l’a fait par opportunisme ou par souci de transparence. Chose certaine, elle ne s’est pas éternisée sur le sujet, préférant plutôt y aller de conseils aux filles d’aujourd’hui qui veulent faire carrière dans la musique. « Si vous êtes une fille, vous devez jouer le jeu. On vous permettra d’être jolie et sexy, mais pas trop intelligente. N’ayez pas d’opinions contraires au statu quo… Soyez ce que les hommes veulent que vous soyez, mais plus important encore, soyez ce avec quoi les femmes sont à l’aise quand vous êtes auprès d’autres hommes. »

Impossible de contredire Madonna à ce chapitre : les femmes dans l’industrie de la musique (de la télé et du cinéma aussi) ont effectivement intérêt à jouer le jeu du sexe et de la séduction et à ranger leurs idées et leurs opinions dans un coffre-fort. 

On a beau être à un cheveu de 2017, la société parfaitement égalitaire dont rêvent Justin et les autres tarde à devenir une réalité, dans le monde du divertissement comme dans celui de la politique.

Vieillir aujourd’hui

Comme dernier conseil aux filles, Madonna leur a interdit, ironiquement bien sûr, de vieillir. « Vieillir aujourd’hui est un péché », a-t-elle lancé.

Ce conseil d’une femme de 58 ans, qui livre un âpre combat contre le temps depuis des années, était d’autant plus audacieux que le vieillissement dans l’industrie de la musique pop, c’est l’éléphant dans la pièce. On n’en parle que très rarement. Du moins, publiquement. Reste que dès qu’une pop star atteint la quarantaine, le compteur du temps démarre sa minuterie et libère un cortège de qualificatifs dénigrants, avec has-been en tête.

Vieillir dans la musique pop n’est pas seulement un péché, c’est un crime.

Et s’il est vrai que la pression est plus forte sur les femmes, les vedettes masculines n’y échappent pas. Les Rolling Stones en sont l’exemple éclatant. À partir de leur cinquantaine, les Stones sont devenus les papis du rock à qui on offrait à la blague cannes, marchettes et fauteuils roulants. Trop vieux pour rocker, se font-ils dire depuis 20 bonnes années. Dernièrement, un journaliste se demandait si une tournée pour accompagner leur nouvel album était envisageable vu qu’un des Stones allait probablement mourir d’ici là. Madonna peut se consoler. Elle n’est pas seule au bataillon.

Par son insistance à rester à l’avant-scène, par « son dur désir de durer », elle espère changer les mentalités, mais aussi, on s’en doute, sauver sa carrière. C’est son droit.

Si Madonna était une artiste visuelle, peintre, sculptrice, écrivaine ou même danseuse contemporaine, son entêtement à continuer de construire une œuvre serait non seulement légitime, mais admirable.

Or, Madonna évolue dans une sphère – la musique pop – entièrement fondée sur la jeunesse et vouée à l’éphémère. Elle y a fait ses classes et sa carrière, en se servant de la matière première de son corps qu’elle a dénudé jusqu’à plus soif. Elle a réussi par la force de son talent et par le charme de sa jeunesse. Et puis le temps a passé, son corps l’a trahie comme il nous trahit tous. Au lieu de l’accepter, Madonna lui a fait la guerre, à coups de Botox et de chirurgie plastique qui l’ont rendue, sinon méconnaissable, plastiquement irréelle.

Si elle était vraiment honnête avec elle-même, elle reconnaîtrait qu’elle est la première à ne pas accepter de vieillir. La première pour qui vieillir est un péché.

Mais peu importe.

Madonna demeure une pionnière et un modèle d’affirmation féminine. Elle a pavé la voie à sa manière, avec fougue, détermination et courage. Et aujourd’hui, même après toutes ces années où on n’a eu de cesse de la faire taire, on peut encore compter sur Madonna pour dire les vérités brutales qui méritent d’être dites. On l’en remercie. 

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