Opinion Rencontre Trump-Poutine

Une occasion à saisir

Donald Trump et Vladimir Poutine se sont finalement mesurés lors de leur premier entretien et les choses se sont bien passées. « C’est un honneur d’être avec vous », a même lancé Trump à Poutine.

Il faut dire que la rencontre de Hambourg, hier, a été minutieusement préparée. L’administration américaine, le Kremlin, la France et un célèbre intermédiaire, Henry Kissinger, ont mis la main à la pâte pour en arriver là.

Au cours des dernières semaines, plusieurs voyages et entretiens sont venus confirmer qu’en effet, on pouvait espérer une issue heureuse de cette première rencontre. Dès son entrée en fonction, début mai, le président français Emmanuel Macron a reçu avec faste le président russe avec qui il a eu un long entretien. À la mi-juin, son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, était à Moscou pour un tête-à-tête avec son homologue Sergueï Lavrov. À son retour en France, il a déclaré au quotidien Le Monde « qu’il y avait, avec la Russie, une fenêtre d’opportunité » pour faire des progrès sur plusieurs enjeux. Washington a reçu le message cinq sur cinq.

Parallèlement à cette diplomatie officielle, Henry Kissinger, l’homme de 94 ans au cœur de la diplomatie américaine depuis sa retraite en 1976, a agi dans l’ombre. L’ancien secrétaire d’État a rencontré deux fois Donald Trump : en décembre, pendant la transition, puis en mai, à la Maison-Blanche, chaque fois pour discuter de la Russie. Puis, il y a quelques jours, il s’est rendu à Moscou pour s’entretenir discrètement avec Poutine.

La table a donc été mise pour cet entretien. Et, pour qu’il soit « franc et direct », Washington et Moscou en ont réduit le nombre de participants : les deux présidents étaient accompagnés seulement de leur chef respectif de la diplomatie, Rex Tillerson et Sergueï Lavrov, et de deux interprètes. Un format qui permet d’éviter de perdre du temps et, aussi, de limiter les fuites médiatiques.

Donald Trump, le candidat comme le président, tenait à cette rencontre. Bien avant que le « Russiagate » éclate, il a manifesté son admiration pour Vladimir Poutine et son intention de changer le cours des relations entre les États-Unis et la Russie. Aux commandes depuis janvier, il n’a pas dérogé à sa ligne de pensée malgré le climat d’hystérie antirusse aux États-Unis entretenu par plusieurs médias, le Parti démocrate et les services de renseignements.

De son côté, le président russe a fait des gestes pour tendre la main aux Occidentaux. Sur le front syrien, Moscou sait que son intervention est tacitement appuyée par les Américains, les Européens et les Israéliens. En retour, la Russie a donné des assurances aux Français, et maintenant aux Américains, que la voie est libre pour une solution politique et diplomatique. Un premier accord de cessez-le-feu local a d’ailleurs été conclu hier.

Du côté de l’Ukraine, tout ne dépend pas que de la Russie. Le gouvernement ukrainien ne cesse de dresser des obstacles à la mise en œuvre des accords de Minsk, signés en 2015 pour faire cesser les hostilités dans l’est du pays. Cette attitude provoque l’exaspération des Occidentaux. Pour le ministre Le Drian, il est clair qu’il « faut des actes de volonté politique en Ukraine », tant chez les Ukrainiens que chez les Russes.

Trump et Poutine ont aussi eu un échange « très vigoureux » au sujet des interférences présumées de la Russie dans la campagne présidentielle américaine, mais ont décidé de ne pas s’y attarder et de regarder vers l’avenir.

Mais l’important n’est pas là. La rencontre entre Trump et Poutine marque d’abord et avant tout le rapprochement entre les deux grandes puissances nucléaires de la planète. Il était temps.

Selon Kissinger, la dégradation actuelle de la relation américano-russe pousse les deux pays dans une zone dangereuse. Il est inquiet. Il estime que les Occidentaux portent une lourde responsabilité dans cette détérioration. Dans une entrevue à la revue The National Interest, en 2015, il disait même « que briser la Russie est devenu l’objectif [des Occidentaux], alors que l’intégrer [au système occidental] devrait être l’objectif à long terme ». C’est un jugement très fort de la part d’un homme qui s’y connaît en coups fourrés, comme en témoignent les peuples du Timor, du Cambodge et du Chili.

Il est donc dans l’intérêt des deux grandes puissances que le dialogue se poursuive et s’approfondisse. Les deux pays sont parfaitement conscients que rien ne pourra se régler sur la scène mondiale sans leur coopération, voire sans un minimum de confiance entre leurs dirigeants.

Qui sort gagnant et perdant de cette rencontre ? La presse et certains commentateurs américains voudraient faire croire que Vladimir Poutine était mieux préparé et a eu le dessus. C’est faux. Les deux leaders se sont à raison entendus pour ignorer ces jacassements et éviter un combat de coqs. C’est de bon augure.

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