Rêves d’enfants

Un superhéros en attire un autre

Gauche, bouton A, droite, gauche, gauche… Teknoboy repousse ses adversaires, tasse les blocs sur sa route et plane au-dessus des crevasses. Une fois franchi le fil d’arrivée, l’humanoïde pavoise avec le trophée du vainqueur.

Teknoboy, principal protagoniste du jeu Magic Rumble, est né dans l’imagination de Loïc Bydal, atteint par une forme grave du syndrome de Morquio, maladie dégénérative extrêmement rare. « C’est au-delà de nos attentes, ce n’est pas juste une image », dit Anik Pilon, tandis que son fils opine.

Comme bien des jeunes de son âge, l’adolescent de 14 ans passe des heures incalculables à manier la manette, seul dans sa chambre. Différence notable : la sienne, avec vue sur le boulevard Décarie, fait partie de l’Hôpital de Montréal pour enfants.

Grâce à l’organisme Rêves d’enfants et à une équipe d’étudiants de l’École des arts numériques, de l’animation et du design (NAD), Teknoboy a transcendé le fantasme de Loïc pour muter en superhéros de chair et d’os, ou plutôt de métal et de mégapixels.

« La plupart des enfants rêvent de Walt Disney, mais ça ne faisait pas partie de nos choix. »

— Anik Pilon, mère de Loïc

Une vilaine crise d’asthme, le 23 juillet 2012, a plongé le jeune sportif dans un coma artificiel. Loïc, qui a dû subir une trachéotomie, est depuis confiné à son fauteuil et est intubé en permanence. « En l’extubant, le petit cœur a descendu pas mal bas, se rappelle la maman. Ses voies respiratoires étaient trop serrées. Il est devenu paraplégique à peu près en même temps. »

Loïc a ce genre de santé fragile qui fait compter les Noëls. Ce genre de santé qui l’empêche de s’aventurer au-delà de Montréal. Pour tuer le temps et l’isolement, le jeune homme s’en est remis à la fiction. « Au début de mon hospitalisation, j’étais très renfermé, note-t-il. Je n’avais pas beaucoup de moyens d’atteindre le monde extérieur, donc je me suis penché vers l’internet. Je me suis mis à écouter Netflix, à regarder des émissions. J’ai commencé à remarquer : ça, c’est japonais, ça aussi, c’est japonais, je me suis dit : “il y a un point commun…” »

C’est avec en tête ce bagage culturel nippon qu’est né le superhéros Teknoboy. « Il n’a pas vraiment de pouvoirs. Son allié, c’est la technologie », remarque Loïc. C’est cette même technologie qui permet à l’ado de repousser un tant soit peu les murs de sa chambre dans des mondes autrement mouvementés.

Le personnage qu’il a imaginé, par l’entremise de différents contacts, a d’abord atterri dans les bureaux de Warner Bros. et d’Ubisoft, mais le temps et les ressources pour animer Teknoboy dans une production commerciale s’avéraient colossaux. Le studio installé à Montréal a tout de même acheminé à Loïc un lot de jeux et une immense affiche de Far Cry signée par ses artisans.

Des étudiants du NAD, sur la recommandation du professeur Pierre Tousignant, ont plus tard accepté d’intégrer Teknoboy aux huit tableaux de Magic Rumble, rebaptisé depuis Magic Rumble + Teknoboy. Le superhéros pourrait-il se retrouver sur les tablettes des magasins d’électronique ou de l’App Store ? La mère de Loïc en serait ravie, mais le futur du jeu repose entre les mains d’une vingtaine de concepteurs. « On est ouverts, mais il faudrait en parler et longtemps, dit l’étudiant Charles Fortin, capitaine de l’équipe de création du NAD. Tout le monde doit être d’accord. »

Le jeu de course et de stratégie, que La Presse a pu tester, rivalise avec bon nombre de créations rassembleuses inspirées de Mario Party. Pour atterrir sur le marché, des bogues – subtils pour les néophytes, dont nous sommes – devraient en outre être corrigés. Encore une fois, énormément de temps et de ressources seraient nécessaires, nous dit-on.

Lire, jouer, relire, rejouer

Loïc est féru de jeux vidéo, mais aussi de mangas, lesquels forgent sa plume et son inspiration. « Les deux m’apportent beaucoup, mais d’une manière différente. » Une journée typique ? « Réveil, manger, lire, jouer, lire, jouer, relire, rejouer », énumère-t-il.

Un autre rêve ? « Voyager, n’importe où, comme un vagabond. » À défaut de pouvoir aller vers le monde, c’est le monde qui vient vers lui. Les affiches autographiées et les photos de vedettes tapissent le mur de son « condo de luxe en plein Montréal », dixit sa mère, suppléante en milieu scolaire qui reste à ses côtés une semaine sur deux.

À l’ombre des caméras, Loïc a eu le privilège de voir défiler le chanteur de Coldplay Chris Martin – « c’est un secret » –, les acteurs de X-Men ou encore l’ancien joueur du Canadien P.K. Subban. Peut-être plus justement, ce sont ces étoiles étincelantes de santé qui ont eu le privilège d’être ramenées sur terre, en première classe, par l’adolescent de 14 ans.

Avec la visite de tous ces noms connus, il est facile de savoir qui, du jeune homme ou de Teknoboy, est le véritable superhéros dans cette histoire…

Qu’est-ce que le syndrome de Morquio ?

Le syndrome de Morquio est une maladie rare dégénérative et héréditaire qui atteint les os et les articulations. Si aucun traitement n’a fait ses preuves pour l’instant, Loïc Bydal fait partie des patients québécois qui prennent un médicament expérimental, le Vimizim. « Les autres enfants Morquio passent des tests pour savoir si leur qualité de vie s’améliore : marcher, monter les escaliers, explique Anik Pilon. Avec Loïc, on ne peut pas le savoir. Mais on ne veut pas arrêter, tout d’un coup que c’est ça qui fait qu’il est stable. » Le développement psycho-intellectuel des enfants atteints est tout à fait normal.

Dessine-moi Teknoboy

Le rêve

Dès 2013, Loïc souligne à Rêves d’enfants son désir de voir Teknoboy prendre vie. Selon la légende, le superhéros est né après avoir découvert « une pièce remplie d’équipement de combat d’origine extraterrestre ». Des démarches auprès de Warner Bros. et d’Ubisoft pour animer le petit humanoïde en 3D sont infructueuses. Le défi nécessiterait d’immenses ressources humaines et financières.

La prise en charge

Par personne interposée, l’organisme Rêves d’enfants se ligue avec le professeur du centre NAD Pierre Tousignant. Une équipe d’étudiants, qui termine la production du jeu Magic Rumble après huit mois de travail, accepte d’intégrer Teknoboy à ses personnages. « C’était assez unanime, tout le monde était partant », explique Charles Fortin, l’un des créateurs.

L’évolution

Le concepteur artistique Gabriel B. Dufour a le mandat de transformer Teknoboy en modèle vivant à partir des contraintes fournies par Loïc. L’étudiant s’inspire d’une photo d’une sculpture en bois remise à Loïc par un ami de la famille. « Il fallait que je la décortique et que je l’arrange pour que ça convienne dans l’univers des personnages déjà créés, explique Gabriel. On voulait aussi lui insuffler une personnalité différente, plus punchée. » Au cours de sa création, Teknoboy a pris différents noms et différentes formes.

L’animation

Jimmy Di Nezza met des heures et des heures à créer une quinzaine de nouvelles animations afin d’intégrer Teknoboy aux mondes déjà développés. Peu à peu, le personnage de Loïc devient la vedette de Magic Rumble. « Il a vraiment tripé à avoir son personnage, dit Charles Fortin. Ça lui appartient, c’est une partie de son imaginaire. » 

Les tests

En cours de production, le jeu est testé des centaines et des centaines de fois pour corriger le plus de bogues possible. Après près d’un an de travail, Magic Rumble + Teknoboy est parfaitement fonctionnel. Au total, une vingtaine d’étudiants y ont travaillé. Le département de musique de l’Université de Montréal a notamment été sollicité pour concevoir l’ambiance sonore.

Et la suite ?

Magic Rumble + Teknoboy a ravi de nombreux élèves lors de périodes d’essai au Collège Stanislas. « Les entendre rire, crier, se défier et s’entraider tout au long de l’activité nous a montré qu’on avait bien fait notre travail », se réjouit Charles Fortin. L’équipe de concepteurs note qu’elle devrait avoir de « sérieuses discussions »  si survenait une possibilité de commercialisation. Dans tous les cas, une affiche géante du jeu signée par tous les étudiants sera bientôt remise à Loïc pour immortaliser Teknoboy.

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