Jacqueline Desmarais 1928-2018

Une vie au service de la musique

Un nom était et demeurera indissociable de Jacqueline Desmarais, celui de Margot Provencher. Les deux femmes se sont rencontrées en 1989 au moment où fut fondée par la mécène la Guilde de l’Opéra de Montréal.

Le rôle de Margot Provencher était alors d’assister Jacqueline Desmarais dans l’organisation des évènements de collecte de fonds pour l’organisme. Mais comme l’implication de Jacqueline Desmarais dans le monde des arts a pris de l’ampleur et s’est diversifiée, la présence de celle que tout le monde appelle tout simplement Margot est devenue essentielle.

« J’étais son bras droit, mais parfois j’étais aussi son amie ou sa sœur. » En effet, au cours de ces 28 années de collaboration, Margot Provencher et Jacqueline Desmarais se sont vues sur une base quasi quotidienne, tant à Montréal qu’à Sagard. Aux deux endroits, un bureau était installé pour le travail qu’effectuaient ces deux passionnées afin d’assurer un mieux-être à la vie culturelle du Québec et d’ailleurs au pays.

On m’avait souvent parlé de cette fameuse Margot, de sa gentillesse légendaire, mais je ne l’avais jamais rencontrée. Quand je l’ai jointe lundi dernier pour lui demander si elle acceptait de me rencontrer, j’étais sûr d’essuyer un (gentil) refus. Finalement, contre toute attente, elle a bien voulu me parler de son amie. La rencontre a eu lieu dans un café de la rue Saint-Denis.

« Je suis venue vous rencontrer, car je crois que ça va me faire du bien de vous parler d’elle », m’a-t-elle dit. 

Depuis l’annonce du décès de son amie et patronne, Margot Provencher est submergée de témoignages de sympathie. « Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de personnes qui m’ont appelée, écrit ou textée. C’est incroyable. Jacqueline était très aimée. Vous savez, partout au pays, il y a beaucoup de peine en ce moment. »

Margot Provencher quitte sa mélancolie et s’anime quand elle se met à faire le portrait, son portrait, de Jacqueline Desmarais. « C’était une femme qui aimait la vie, qui aimait créer le bonheur autour d’elle. Son énergie faisait du bien. Un jour, la chanteuse Renée Fleming lui a dit que son énergie était contagieuse. Jacqueline lui a répondu à la blague : “Je sais et je crois que je vais commencer à facturer les gens pour cela.” »

On a la plupart du temps accolé l’étiquette de simple philanthrope à Jacqueline Desmarais. Mais ceux qui l’ont côtoyée vous le diront : son amour pour la musique était authentique et pur. « Elle chantait tout le temps, raconte Margot Provencher. Il y avait toujours de la musique chez elle, dans toutes les pièces. Elle commençait chacune de ses journées en écoutant la chanteuse de jazz Blossom Dearie. Ça la mettait de bonne humeur. »

Cet amour de la musique et des musiciens passait également par une envie incontrôlable de créer des liens entre les gens. Elle connaissait tout le milieu de la musique à Montréal et tout le milieu musical la connaissait. Lors d’évènements ou de soirées, Jacqueline Desmarais adorait provoquer des rencontres.

« Pour elle, le partage était la plus belle des valeurs », dit Margot Provencher. 

Jacqueline Desmarais a redéfini le concept de mécénat en y ajoutant l’accompagnement auprès de l’artiste.

« C’est bien beau, donner de l’argent, mais il faut aussi savoir s’impliquer, être présent. En tout cas, c’est comme cela que Jacqueline Desmarais voyait les choses. Elle a été une mécène intéressée, je veux dire par là qu’elle s’intéressait vraiment aux gens et aux artistes. C’est pour cela qu’on l’aimait et qu’on la respectait. »

— Margot Provencher

Bon an, mal an, Jacqueline Desmarais participait aux auditions de la Fondation pour jeunes chanteurs d’opéra canadiens (fondation qui portait son nom). Son jugement était hautement pris en considération. Près de 130 jeunes interprètes de partout au pays ont bénéficié de sa bienveillante générosité.

Parmi ses très nombreux « protégés », on retrouve évidemment Yannick Nézet-Séguin, Étienne Dupuis, Julie Boulianne, Stéphane Tétreault et de nombreux autres. « Rien ne la rendait plus heureuse que de voir l’un d’eux remporter un succès. »

Membre du conseil d’administration du Metropolitan Opera, à New York, elle avait obtenu de la prestigieuse maison d’opéra qu’elle se montre « attentive » au talent des artistes canadiens. « Les débuts d’un artiste de chez nous au Met était toujours quelque chose de très important pour elle, dit Margot Provencher. Je me souviens des débuts de Layla Claire. Elle était très excitée par cela. »

La générosité de Jacqueline Desmarais englobait également les causes sociales. Paul Desmarais a toujours été sensible aux problèmes liés à l’itinérance à Montréal. Son implication, souvent discrète, fut considérable.

« Jacqueline a dit : “Les femmes ! Il faut absolument aider les femmes qui ont des difficultés” », se souvient Margot Provencher. C’est ainsi que la philanthrope a communiqué avec l’équipe de l’organisme La rue des Femmes afin de lui offrir son soutien.

Les Jacqueline Desmarais sont rares dans le monde. Nous avons eu la chance d’en avoir une. Dans les jours qui ont suivi son décès, j’ai entendu beaucoup de gens me dire qu’ils réalisaient enfin le rôle qu’elle avait joué dans le monde des arts au Québec et ailleurs au Canada.

« Elle va laisser un grand vide, me dit Margot Provencher. Et moi, je crois que je n’ai pas encore totalement réalisé l’impact de son départ. » En effet, depuis samedi dernier, depuis le départ de son amie et patronne, Margot Provencher a dû régler mille et une choses. Cela lui a permis de garder la tête hors de l’eau.

Au cours de notre rencontre, elle a reçu beaucoup de textos et d’appels. Et devinez quelle est la sonnerie du portable de Margot Provencher ? Nulle autre qu’une chanson de Blossom Dearie.

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