Opinion

Oui, ça peut être pire, Simon !

Simon est le fils de 25 ans d’un de mes amis. Un jour, alors qu’on était dans une salle de spectacles à Montréal, j’avais demandé à Simon ce qu’il pensait de la Charte de la laïcité que pilotait Bernard Drainville. C’était au beau milieu de ce débat qui avait déchiré le Québec. Simon, qui avait tout le temps le nez rivé sur son téléphone, m’avait répondu : « De quelle charte est-ce que tu parles ? Et qui est Bernard Drainville ? »

Ce jour-là, j’ai réalisé qu’on avait collectivement un méchant problème, car il y a aujourd’hui beaucoup de jeunes et moins jeunes qu’on dit très branchés, mais qui sont complètement débranchés de la vie politique et des médias traditionnels pour vivre dans une réclusion informationnelle virtuelle. Ils se disent ouverts sur le monde, mais portent des œillères qui les empêchent de découvrir autre chose que ce qui les allume.

Pourtant, il y a un avantage à s’informer dans les médias traditionnels lorsqu’ils sont sérieux.

En plus de nous habituer à une certaine rigueur journalistique qui permet de faire la différence entre les vraies et les fausses nouvelles, le téléjournal et les nouvelles à la radio ou dans les journaux nous forcent à découvrir autre chose que nos intérêts particuliers. Ce faisant, ils aiguisent notre curiosité, et c’est comme ça qu’on arrive à s’intéresser à ce qui nous passait 10 pieds par-dessus la tête. Autrement dit, même si on ne s’intéresse pas à la politique étrangère, en écoutant une certaine radio, on entendra parler de la guerre en Syrie, des problèmes en Palestine et on apprendra peut-être que la bande de Gaza est un territoire et non un groupe de malfaiteurs.

Si je demandais à mes enfants de choisir leur menu, le spaghetti, la pizza et les hamburgers seraient toujours sur la table à manger. C’est un peu ça, cette façon de s’informer sur le Net qui a façonné des gens comme Simon. Si on veut élargir la culture culinaire des enfants, il faut les initier très jeunes à une diversité alimentaire, même s’ils n’ont pas le goût d’en manger. Il y a de tout sur le Net. Demandez à Google et vous recevrez ce que vous cherchez.

Si vous pensez que le 11-Septembre est un complot, vous trouverez des preuves. Si vous pensez qu’Obama est musulman, Google va vous le confirmer.

Je reçois régulièrement des bouts de textes, des citations et autres affirmations que je n’ai jamais vus avec mon nom apposé en bas, disant que j’en suis l’auteur. Parfois, ces fausses informations sont partagées par des milliers de personnes. Mais revenons à Simon.

Comme je partais pour le sermonner sur l’irresponsabilité de sa réclusion sociale virtuelle, Simon m’avait répondu que la politique était un sujet particulièrement emmerdant pour lui, que de toute façon les politiciens étaient tous pareils et que ça ne servait à rien de voter aujourd’hui.

Eh bien, aujourd’hui, je peux officiellement te dire que tu avais totalement tort, mon Simon. Ça peut toujours être pire. Tu vois, beaucoup d’Américains qui profitaient de l’Obamacare vont payer lourdement le prix de leur irresponsabilité, parce qu’ils ne sont pas allés voter. Désolé aussi pour tous ces marcheurs et marcheuses du 21 janvier, mais en démocratie, ce sont les frappes préventives qui sont les plus pertinentes. La mobilisation, c’est avant et pendant le jour du scrutin qu’il fallait la faire. Le président Trump a gagné ses élections et les quatre ans à venir risquent de montrer aux irresponsables qui ne sont pas allés voter que vivre dans un État de droit nécessite aussi de faire ses devoirs. Montesquieu ne disait-il pas que les peuples avaient les gouvernements qu’ils méritent.

Voilà maintenant l’Amérique dirigée par des idéologues blancs flanqués d’un agenda bien précis. Il y en a qui sont venus parce qu’ils croient que la Terre n’a pas de problème climatique et qu’il faut retourner à l’ère de la houille ; d’autres, parce qu’ils croient que la hiérarchie des races est une vérité indéniable ; d’autres veulent contrôler ce qui se passe dans le ventre des femmes ; d’autres, parce qu’ils veulent détruire le système d’enseignement public américain, etc.

Mais tous ces doctrinaires veulent surtout s’offrir un présent parfait qui privera certainement les générations à venir d’un futur simple.

Entre le nouveau boss de l’Agence américaine de protection de l’environnement, le climatosceptique Scott Pruitt, et les milliers de scientifiques qui disent que le climat se réchauffe, qui faut-il croire, Simon ? Pose la question à Google et il te prouvera que tous ces scientifiques sont des ignares, si c’est ce que tu veux entendre.

Il y a trois morales dans cette histoire, Simon.

1. La politique finit par s’occuper de ceux qui ne veulent pas s’en occuper.

2. L’internet réussit à convaincre celui qui lui fait confiance que Trump et les millionnaires et milliardaires qui l’entourent sont des gens du peuple qui en veulent aux élites.

3. Non, les politiciens ne sont pas tous pareils. Il en existe des bien pires et l’Amérique vient de nous en faire la démonstration.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.