Analyse

Effet domino

QUÉBEC — Le battement d’aile d’un papillon peut-il entraîner un ouragan ? L’hypothèse était à la mode auprès des intellectuels il y a une cinquantaine d’années. Des événements en apparence insignifiants enclenchent une cascade de réactions, de plus en plus graves, jusqu’au cataclysme…

Les rebondissements incroyables dans la campagne pour l’élection partielle dans Louis-Hébert, hier, sont le résultat d’une série de décisions, ou d’absence de décisions, des stratèges libéraux. Une folle journée au cours de laquelle le candidat Éric Tétrault, après avoir passé la journée à se défendre de lourdes allégations quant à son comportement, a subitement annoncé qu’il jetait l’éponge. Plusieurs ministres se sont portés à la défense de M. Tétrault durant toute la journée.

L’annonce de la Coalition avenir Québec (CAQ) de retirer son propre candidat, Normand Sauvageau, pour des allégations du même ordre, aura pesé lourd dans cette décision. Le cabinet de Philippe Couillard a carrément exigé que Tétrault déclare forfait. La comparaison entre un nouveau candidat caquiste et un libéral qui s’accroche aurait condamné à l’avance le Parti libéral (PLQ), qui est déjà en sérieuse difficulté dans cet habituel bastion libéral.

PREMIER TECH ET SAM HAMAD

Le papillon avait battu des ailes il y a cinq ans. Le gouvernement Charest disait oui à une demande de subvention de Premier Tech, une firme bien établie, assurant de nombreux emplois dans le Bas-du-Fleuve. Le ministre Sam Hamad avait même fait des représentations auprès de ses collègues du Conseil des ministres pour que la subvention soit majorée. Mais des courriels où Marc-Yvan Côté se félicite des interventions de cet « ami » bien placé se sont retrouvés dans les médias. L’engrenage venait de se mettre en marche. On est au début de 2016.

Le cabinet de Philippe Couillard décide alors que Sam Hamad doit se retirer du Conseil des ministres. Un autre événement négligeable, ce dernier prend la mouche et disparaît en Floride. Le psychodrame emporte tout. On demandera une enquête du commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale, qui conclura que le ministre avait trop poussé pour l’entreprise, une insistance incompatible avec sa fonction. La pression monte, mais Philippe Couillard défend Sam Hamad, soulignant qu’aucune sanction n’est proposée par le commissaire Jacques Saint-Laurent.

M. Hamad reste sur la touche pendant des mois, encouragé par la promesse que lui a faite le premier ministre, en présence du maire de Québec Régis Labeaume, qui réclamait son retour. Le député de Louis-Hébert devait retrouver sa limousine. Philippe Couillard change d’idée. Les conséquences, négligeables alors, prendront des proportions énormes. Un an plus tard, comprenant qu’il a été leurré, Hamad baisse les bras et annonce son départ. L’ex-ministre, très populaire dans la région de Québec, reste fort amer ; il refuse net d’aller appuyer le candidat Éric Tétrault durant la campagne.

UNE CHASSE AU CANDIDAT

Normalement, une élection partielle dans Louis-Hébert ne poserait pas de problème au PLQ. Les frontières de l’ancienne circonscription des péquistes Claude Morin et Paul Bégin ont beaucoup changé – Sam Hamad avait été élu à cinq reprises depuis 2003 –, c’est une prise quasi assurée pour Philippe Couillard.

Mais la chasse au candidat sera une cruelle déconvenue pour l’organisation du PLQ. On aurait pu attirer de grosses pointures en promettant un poste au Conseil des ministres – on a déjà vu des ministres nommés avant même d’être élus. On rata cette « occasion en or », confiera un libéral en vue.

Et le directeur du PLQ, Sylvain Langis, a essuyé, dit-on, une longue liste de refus. Julie Lemieux, conseillère municipale en vue à Québec qui venait d’annoncer son départ ; Daniel Gélinas, qui terminait un mandat éclatant au Festival d’été de Québec ; Carl Viel, patron de Québec International ; Marie Cossette, avocate-vedette de la commission Gomery ; Pierre Jobin, chef d’antenne de TVA à Québec ; Christiane Germain, du Groupe Germain. Tous ont refusé l’offre qui leur a été faite.

Il faut savoir que le portrait politique à Québec n’est pas favorable aux libéraux. La CAQ paraît avoir le vent dans les voiles. Reste à voir si le désistement surprise du candidat caquiste, Normand Sauvageau, brouillera les cartes. Ce dernier a été forcé de partir par son employeur, la Banque Scotia, après 39 ans de service. Les propos incendiaires, le manque de respect et les menaces faites à ses employés nécessitaient une sanction.

UN PORTE-PAROLE IMPECCABLE

Après une longue liste de refus, Éric Tétrault, protégé de Pierre Moreau, apparaissait enfin comme une solution acceptable, mais son statut comme patron des Manufacturiers du Québec n’était plus très clair. À la fin de juin, il s’était longuement entretenu avec François Legault, signalant son intérêt pour une possible candidature pour la CAQ.

Fort en gueule, M. Tétrault, ancien journaliste, est un porte-parole impeccable, mais il a quitté Québec il y a bien longtemps. Au surplus, son parcours fait revivre de vieux démons pour le gouvernement Couillard. Il a été étroitement associé à l’ère Charest – il avait été directeur des communications du premier ministre, et chef de cabinet de Jacques Dupuis auparavant. Pire encore, il avait passé plusieurs années au cabinet d’Alfonso Gagliano à Ottawa, durant la période des commandites.

Faute de mieux, les libéraux ont tout de même misé sur M. Tétrault, qui a l’avantage d’avoir un profil économique, même s’il n’a jamais été un entrepreneur.

Comme d’habitude, les vérifications d’usage ont été faites ; rien au plumitif, une bonne réputation, pas de contraventions non payées. Rien à signaler sous la loupe de l’enquêteur retenu habituellement pour ces contrôles, Claude Sarrazin, de la firme Sirco. On vérifiera trois fois plutôt qu’une…

Au début de juillet, avant d’être désigné candidat, M. Tétrault a toutefois confié au directeur Langis que « quelque chose était arrivé » quand il était directeur des communications de la multinationale ArcelorMittal. Des plaintes d’employées à son endroit avaient entraîné une enquête externe sur son comportement, a-t-il expliqué. Joint au téléphone par Sylvain Langis, directeur du PLQ, l’ancien vice-président des ressources humaines d’ArcelorMittal, Louis Martel, proche de Tétrault, semble-t-il, a minimisé l’affaire. L’enquête avait été déclenchée pour calmer le syndicat à l’interne, et aucune sanction n’avait été imposée. M. Tétrault quittera toutefois ArcelorMittal quelques semaines après cette enquête. Étrangement, les stratèges libéraux tergiverseront pendant trois semaines avant de déclencher l’élection complémentaire. Autant de temps où le candidat pressenti, seul en scène, était scruté par les médias.

Mais le papillon n’a peut-être pas dit son dernier mot. Ces dérapages embarrassants risquent de coûter cher aux libéraux dans Louis-Hébert. Perdre cette circonscription aux mains de la CAQ, à un an des élections, risque d’avoir un effet d’entraînement – plusieurs élus libéraux sont déjà en danger. Une défaite dans Louis-Hébert remettrait tout à coup beaucoup de pression sur Philippe Couillard et son entourage. Le verdict de Québec peut donner des ailes au parti de François Legault dans d’autres régions. Beaucoup de conséquences pour une subvention… anodine en apparence.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.