Plante « zombie »

Plus d’une centaine de lacs menacés

Le myriophylle à épi, cette plante aquatique « zombie » qui se reproduit très rapidement dans toutes les régions du Québec, menace les rivages de plus d’une centaine de lacs de la province, mais le ministère de l’Environnement refuse d’en dévoiler le nombre exact.

« J’ai l’impression que le ministère de l’Environnement cherche à ne pas trop alerter la population, parce que le problème est à mon avis beaucoup plus important que ce qu’on veut laisser entendre. C’est comme si le Ministère fermait les yeux là-dessus », dénonce le député provincial de Labelle, Sylvain Pagé, dont la région compte au moins une quarantaine de lacs touchés par le myriophylle.

Depuis une semaine, La Presse tente d’obtenir une liste des lacs touchés par la prolifération du myriophylle à épi. Un « tableau des infestations connues » a été réalisé au printemps 2017 par le Ministère, mais ce dernier ne nous l’a toujours pas fourni, invoquant des vérifications nécessaires en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

En région éloignée, où les hydravions auraient contribué à sa prolifération, des regroupements de riverains craignent que son arrivée ne mine l’économie touristique régionale. Le myriophylle y a notamment été décelé dans deux lacs situés près de Tadoussac au cours de la dernière année.

« Si ça se rend dans les zecs [zones d’exploitation contrôlée, territoires de chasse et de pêche] ou les pourvoiries, le myriophylle risque d’avoir une incidence très sérieuse sur la pêche touristique, qui est un volet très important de notre économie. »

— Nicolas Ferron, biologiste de l’Organisme des bassins versants de la Haute-Côte-Nord

La plante envahissante originaire d’Asie et d’Europe, qui se reproduit par bouture plutôt que par germination, se propage rapidement dès qu’on la sectionne avec une hélice de bateau ou une pagaie. Sa population devient rapidement si dense qu’elle élimine les autres plantes aquatiques et les poissons qui y fraient.

Pêche à la truite menacée en Outaouais

La pêche à la truite est aussi menacée en Outaouais, où un inventaire réalisé en 2009 indiquait que le myriophylle était présent « dans au moins 30 % de la superficie totale des eaux à touladi [truite grise] de la région ». Une trentaine de lacs étaient alors officiellement touchés. « Plus longtemps on attend, plus il sera difficile d’agir et de limiter la perte d’habitat de touladi », conclut l’étude, réalisée par la Direction de l’expertise Faune-Forêt de l’Outaouais. Plus au nord, en Abitibi, le myriophylle a été recensé dans une dizaine de lacs, dont les lacs Rouyn, Osisko et Pelletier, près de Rouyn-Noranda.

Sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, la plante aquatique envahissante a été recensée jusqu’à Mont-Joli.

« Ce sont des citoyens inquiets qui nous ont avisés de sa présence au lac du Gros-Ruisseau. Le ministère de l’Environnement a mis un bon bout de temps à confirmer sa présence. Je pense qu’ils ont subi beaucoup de coupes et que les gens sont débordés », affirme Christian Hubert, de l’Organisme des bassins versants du nord-est du Bas-Saint-Laurent.

« Nous n’avons pas beaucoup de soutien de leur part pour faire face au problème. Il y a vraiment un manque d’effectifs. »

— Christian Hubert

En Beauce, le myriophylle est combattu au lac des Abénaquis grâce à des toiles synthétiques achetées avec une aide de 95 000 $ du gouvernement fédéral. « Il est présent dans au moins deux autres lacs de la région, mais on n’en parle pas beaucoup publiquement parce que ça fait peur aux riverains », affirme Claire Maranda, présidente de l’Association des riverains du lac des Abénaquis.

« Tout le monde se lance la balle »

Russell Copeman, ancien député et maire de l’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, qui possède une résidence secondaire près du lac à la Truite, dans les Laurentides, affirme pour sa part avoir « beaucoup de difficulté à impliquer les autorités locales dans la recherche d’une solution ». « La Ville de Sainte-Agathe-des-Monts nous renvoie au ministère de l’Environnement. Le Ministère dit qu’il n’est pas convaincu que l’installation de toiles de jute est la solution. Tout le monde se renvoie la balle et personne n’agit. Pendant ce temps, la plante prolifère à tel point que ce n’est même plus possible de nager dans le lac », déplore-t-il.

Le lac à la Truite, un des plus touchés des Laurentides, est selon lui envahi par le myriophylle à plus de 40 %. La situation est si problématique qu’un groupe de citoyens conteste leur évaluation foncière et leur avis d’imposition devant le Tribunal administratif du Québec, jugeant que la valeur de leur résidence a chuté à cause du myriophylle à épi. « Ces citoyens cherchent au minimum à attirer l’attention de la MRC et de la Ville sur le problème. C’est dramatique, mais personne n’a de solution », constate M. Copeman.

Plante « zombie »

Deux méthodes autorisées

Le ministère de l’Environnement délivre au compte-gouttes les certificats d’autorisation pour installer de la toile de jute au fond des lacs afin de combattre le myriophylle. Une fois en place, le jute étouffe cette plante, mais sert de terreau aux autres plantes aquatiques. Jusqu’à maintenant, deux méthodes ont été employées.

Plante « zombie »

La barge de Block-Aid

L’entreprise ontarienne Block-Aid a mis au point une barge spéciale qui déroule un long tapis de jute au fond des lacs. La machine le maintient en place en déposant un sac de sable. « Le problème, c’est que le ministère de l’Environnement refuse qu’on utilise des sacs de sable, pour éviter qu’on introduise un élément exogène dans le lac. Ils exigent plutôt qu’on mette des blocs de béton, qu’on retire après quelques mois. Ça rend l’opération extrêmement fastidieuse », commente Benoît Huet, président de l’Association des propriétaires du lac Quenouille.

Plante « zombie »

La méthode artisanale

Au lac à la Tortue, les chercheurs associés au projet n’ont eu d’autre choix que de recourir au système D. Au début du mois de juillet, des sections de 25 m sur 25 m ont été cousues sur la plage, puis attachées en boudin avec des bouées, qu’une barque transporte jusqu’au secteur désiré. « On descend la toile avec un système de poulies, et on la retient avec des sacs de sable. Dans notre cas, le Ministère a accepté qu’on les utilise. La méthode fonctionne, mais c’est laborieux. Dès qu’il vente, ça devient difficile », explique la biologiste Christine Demers, qui dirige la Société d’aménagement et de mise en valeur de la Batiscan.

Plante « zombie »

Un traitement aux ultraviolets ?

En Californie, une technique d’éradication du myriophylle à épi utilisant les rayons ultraviolets est à l’étude au lac Tahoe. « Nous avons obtenu des résultats très prometteurs, mais il faudra attendre encore au moins un an pour tirer des conclusions », indique John Paoluccio, président d’Inventive Resources inc., qui a conçu et breveté le système. « La lumière ultraviolette détruit la plante et son ADN. Ça se fait assez rapidement. Il nous reste à déterminer la meilleure recette pour y arriver », ajoute-t-il. Le myriophylle à épi est présent dans la plupart des États américains. Certains territoires privilégient l’utilisation d’herbicides toxiques pour le contrôler.

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