Os, la montagne blanche 

La mort et après…

Un jeune archéologue perd sa mère et tombe en dépression. Il décide de tout quitter pour la Colombie. De prime abord, la pièce solo de Steve Gagnon ne renvoie pas à un contexte musical. Mais le metteur en scène Denis Bernard a tout de suite entendu le rythme dans le verbe du dramaturge-comédien.

« Ses textes sont poétiques, il y a de la fulgurance, de la flamboyance. Il y a aussi des préoccupations très incarnées : la liberté, l’épanouissement, l’engagement et le sens des responsabilités. Steve s’adresse à nous comme un oracle au coin de la rue. On se rapproche du spoken word et du slam, mais on ne fait pas un exercice de style où l’on essaie de scander le texte pour rentrer dans une rythmique. Même si, parfois, notre corps peut se mettre à bouger sur un rythme. »

Le spectateur pourrait en avoir envie, préviennent les deux créateurs. D’ailleurs, il n’y a pas de gradins dans la petite salle de La Licorne.

« C’est la possibilité d’avoir une relation très particulière avec le spectateur. En enlevant la scène et les gradins, on lui permet d’être moins passif. C’est la musique qui fait tout le reste. »

« Ça fait longtemps que je veux faire ça. Le jeune qui vient au théâtre, lui aussi, je pense à lui. »

— Le metteur en scène Denis Bernard

À 32 ans, Steve Gagnon est effectivement un jeune dramaturge, mais sa plume mature se trempe dans les moindres tressaillements de l’expérience humaine.

« La montagne, dans la pièce, dit-il, ce sont les os qui restent de la mère du personnage et c’est un repère dans sa vie. Le passage qui relie mes textes –  puisque c’est le troisième d’une trilogie –, c’est le passage de l’enfance à l’âge adulte. Comment devenir un homme avec une vie à la hauteur de nos rêves et des possibles devant nous. 

« Ma première rencontre avec Denis, pour Ventre, a été marquante, poursuit-il. En travaillant sur Os, je lui ai demandé s’il avait un fantasme de mise en scène. Il m’a parlé de son idée de spectacle sans sièges. Moi, j’étais déjà intéressé par le collectif français Fauve qui fait beaucoup dans le spoken word. Nos fantasmes se sont rencontrés. »

Nouveau défi

Parmi eux : la musique a été composée in situ, durant les répétitions. Depuis plus de huit ans à la tête de La Licorne, Denis Bernard cherchait un nouveau défi comme metteur en scène. 

« Comme directeur artistique, c’est une idée très personnelle, mais je trouve que la représentation théâtrale est très formatée. Ce qui me donne l’impression, parfois, d’avoir vu le show de la veille et de l’avant-veille. Je ne blâme personne. Des fois, on peut provoquer les spectateurs. Ils sont capables d’en prendre beaucoup plus qu’on pense. Os est un spectacle qui me remplit de joie intense. La parole de ce gars-là arrive à point nommé. On a besoin de cette solidarité engagée. »

Avec deux musiciens, Steve Gagnon ne sera pas tout à fait seul en scène. Même que la voix d’une chanteuse se mêle à la sienne durant le spectacle. 

« À certains moments, mon texte est comme une ligne ajoutée à la partition musicale. Parfois, au théâtre, on a le réflexe que la musique ne serve que le récit ou l’ambiance. Là, elle soutient le texte, mais sert aussi au spectateur pour qu’il respire avec moi. Le groupe Le Bleu – Nicolas Basque et Adèle Trottier-Rivard – l’a compris et est embarqué là-dedans. C’est formidable, ce qu’ils font. La musique vient remplacer le siège du spectateur. Il y a une sensation qui nous traverse. On est debout et ça nous soulève, comme dans un concert de musique. »

Os, la montagne blanche est présentée à La Licorne jusqu’au 1er décembre.

L’Iliade et Os, la montagne blanche

Et en avant la musique !

Spoken word, rap battle, hip-hop… On parle de théâtre ici, les jeunes ! Même si ces genres musicaux ont inspiré les pièces L’Iliade et Os, la montagne blanche, il ne s’agit pas de comédies musicales. Ces spectacles tapissés de musique célèbrent surtout le verbe, la parole.

L’Iliade

La guerre des mots

Au début, il y avait le verbe. Celui d’Alessandro Baricco qui a écrit Homère, Iliade et qui a inspiré Marc Beaupré. Puis, Stéfan Boucher et sa musique servant le verbe. Sept ans plus tard, voici L’Iliade, théâtre musical nouveau genre par des créateurs aux nouvelles idées.

« Au début, ça devait être du battle rap pour illustrer la guerre qu’on ne voit pas en scène, décrit le metteur en scène Marc Beaupré. Mais ça ne marchait pas. J’ai rencontré Stéfan et il a carrément écrit une partition. Il m’a dit dès le début que la musique ne racontait pas que la guerre, mais aussi tout ce qui dépasse les hommes. »

À texte épique, idées épiques. Mais précisons : L’Iliade, ce n’est pas l’histoire de l’enlèvement d’Hélène ou du cheval de Troie. « L’Iliade couvre la colère d’Achille qui ne veut pas se battre. Il finit par le faire et tue Hector. C’est tout », précise le metteur en scène qui avait présenté et joué seul au printemps Hamlet_Director’s Cut

Il travaille cette fois avec huit comédiens, dont Emmanuel Schwartz, Maya Kuroki et Jean-François Nadeau, et deux musiciens.

« Je les vois tous comme des interprètes. Stéfan et Olivier [Landry-Gagnon] agissent comme chefs d’orchestre par moments. Ils donnent carrément des cues aux comédiens. »

— Marc Beaupré

« Son approche [Marc Beaupré] est plus répandue dans le domaine de la danse qu’en théâtre, estime Stéfan Boucher. En musique, on travaille sur ce qui se passe sur la scène, pendant qu’on raconte l’histoire. C’est une partition exigeante pour les acteurs. On a transposé une partie du texte en musique. On a choisi des acteurs qui étaient rythmiques et mélodiques. Ils ont donc la partition physique, le texte et la musique. »

Le son des silences

Marc Beaupré avoue qu’il s’agit du « plus gros show [qu’il a] eu à monter, c’est clair. Pour le texte, la durée, mais aussi le mariage texte-musique ».

« J’ai beaucoup lu son texte pour m’accorder à sa vision, note Stéfan Boucher. Je pense qu’on va tenir les spectateurs en haleine tout le long du spectacle. »

« On part d’un instrument avec deux notes à l’orchestral total avec des machines. Je me suis inspiré de la musique japonaise et grecque antique. »

— Stéfan Boucher

Dans ce récit plus grand que nature où les humains et les dieux ne sont pas sur la même longueur d’onde, il y a peu de scènes silencieuses. Mais « j’aime ça préparer ces moments silencieux, dit Stéfan Boucher. J’aime gratter l’oreille, garder la tension, la faire monter et, pif, saborder ça et laisser la place au verbe. À ce moment-là, le verbe, tu veux l’entendre ». 

Reste que les deux complices œuvrent dans un territoire peu emprunté. Là où la musique parle et joue un rôle très important. 

« Ce n’est pas de la musique de transition, note Marc Beaupré. Les comédiens sont très contents de travailler là-dessus et de cette façon. Il y a une physicalité, mais pas autant que dans Hamlet. Il y a des scènes de combat transposées pour la scène. Il y a un peu de chorégraphie. On a développé une partie de la gestuelle à travers le langage des signes. »

L’Iliade est présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 6 décembre.

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