Avortement

Les femmes ne sont pas des animaux !

Le récent jugement de la Cour suprême américaine retirant aux femmes la protection constitutionnelle du droit à l’avortement représente une des plus violentes attaques à leur dignité et à leur liberté que les femmes américaines aient vécue depuis des décennies. En abandonnant le corps de celles-ci à la guérilla juridique menée par les chrétiens évangéliques dans nombre d’États, ce jugement abject rabaisse les femmes au niveau de l’animalité, à égalité, non plus avec les hommes, mais bien avec les souris, les chattes et les chiennes.

La biologie, un élément essentiel de la « situation » des femmes

De Condorcet en France à Mary Wollstonecraft et John Stuart Mill en Angleterre, on a toujours invoqué la « coutume » ou le manque d’éducation des femmes pour expliquer leur infériorisation. Ainsi la solution proposée résidait dans l’instruction obligatoire et la mixité dans l’éducation, afin que les filles puissent bénéficier des mêmes enseignements et des mêmes chances de promotion sociale que les garçons.

Ce sera l’une des grandes leçons du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, qui, dès le premier chapitre de son ouvrage, insiste sur l’importance décisive de la biologie dans la vie des femmes et sur la nécessité de pouvoir contrôler leur fertilité afin que cette biologie ne devienne pas un destin figé, où les filles et les femmes subissent des grossesses à répétition et enfantent sans l’avoir choisi.

Alors que chez les autres mammifères, le cycle œstral ne se déroule que pendant une saison, chez la femme, celui-ci a lieu chaque mois, faisant que « de la puberté à la ménopause, la femme est le siège d’une histoire qui se déroule en elle et qui ne la concerne pas personnellement ». « Sans répit, dira de Beauvoir, la femme ébauche le travail de la gestation. » « Ces données biologiques sont d’une extrême importance : elles jouent dans l’histoire de la femme un rôle de premier plan, elles sont un élément essentiel de sa situation. »

Le droit à l’avortement pour enfanter librement

C’est pourquoi il ne peut y avoir de liberté et d’égalité pour les femmes sans un contrôle rationnel de leur fertilité et une prise en charge sociale de celle-ci, c’est-à-dire un accès gratuit à la contraception, à l’avortement et aux services de garderie qui soient garantis par l’État, pour permettre aux femmes de décider si elles veulent ou non un enfant, du moment de leur maternité et du nombre d’enfants souhaités.

Car que peut bien vouloir dire pour une femme poursuivre des études supérieures, décrocher un emploi et avoir une carrière, si elle risque de devenir enceinte chaque mois sans l’avoir voulu ?

Honnêtement, quel homme se trouve dans pareille situation ? Aucun, alors que c’est le lot de chaque femme.

Contrôler son corps est l’assise de sa liberté et refuser ce droit aux femmes, comme le font toutes les religions, c’est contraindre celles-ci à enfanter contre leur gré, les abaisser à n’être que des poules pondeuses au service de la famille, de la communauté ou de la nation, qu’importe, et les empêcher d’entrer de plain-pied dans l’humanité. Le scandale, il est là. L’inacceptable, il est là, parce que les femmes ne sont tout simplement pas des animaux ! Et si les chiennes et les chattes, coincées dans leurs poils et leur animalité, enfantent dans la répétition et l’inconscience, les femmes sont, en revanche, des êtres historiques, avec une conscience, des désirs, des projets et une volonté de vivre librement, à l’égal des hommes.

« Tosca, tu me fais oublier Dieu ! »

Cette petite phrase de Scarpia qui fantasme sur le corps de Tosca dans l’opéra de Puccini résume magnifiquement la criante opposition entre le plaisir sexuel et le ciel. Cela explique pourquoi toutes les religions sont obsédées par le sexe, dont elles redoutent la puissante force d’attraction. Il est leur pire ennemi parce qu’il éloigne de Dieu et ruine l’intérêt pour l’autre monde. Limiter le plaisir sexuel à la stricte reproduction et condamner tout ce qui s’en écarte, telle est l’intention fondamentale de toute religion.

Il faut donc voir ces idéologies patriarcales comme étant un formidable dispositif de contrôle de la sexualité, particulièrement de celle des femmes, qui occupent une position centrale quant à la reproduction.

Pour parvenir à un tel rétrécissement de la sexualité, les religions doivent contraindre les femmes à la maternité et réprimer toute vie sexuelle qui ne vise que le plaisir. Voilà pourquoi les religions condamnent la contraception, l’avortement et le mariage homosexuel, alors qu’ils font la promotion morale de l’épouse et de la mère comme étant un gage d’accomplissement et d’émancipation pour les femmes. Doit-on alors s’étonner que la contraception et le mariage homosexuel soient dorénavant dans le collimateur des juges conservateurs de la Cour suprême américaine ?

Les femmes, des animaux ?

Ce qui émane de ce jugement est carrément ignoble parce que les femmes y sont humiliées et déchues de leur humanité. Pendant que l’on dénonce avec raison la maltraitance face aux animaux de compagnie et que l’on exige la fermeture des animaleries pour mettre fin aux usines à chiots, les chrétiens évangéliques veulent interdire la contraception et l’avortement pour transformer les femmes en usines à bébés. Bienvenue dans le meilleur des mondes !

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