ÉDITORIAL LAURENT LESSARD

Le plus petit dénominateur éthique

À quoi cela sert-il de déclarer les intérêts financiers de sa famille au commissaire à l’éthique ? De lui demander un avis sur l’embauche d’un employé politique ? À pas grand-chose, si l’on se fie aux controverses entourant le ministre des Transports Laurent Lessard.

Le poste de commissaire à l’éthique a été créé en 2011 pour enquêter sur les élus, mais aussi pour prévenir les possibles conflits d’intérêts. Hélas, on ne peut qu’en constater l’échec, pour trois raisons : le Code d’éthique lui-même, la façon dont le commissaire l’applique et l’interprétation qu’en font les élus.

Hier, l’opposition a recouru à la stratégie du mille feuille en accusant M. Lessard d’un nouveau conflit d’intérêts. L’allégation était faible, mais on voulait ajouter une nouvelle couche à la série de controverses pour donner une impression de trop-plein. Le conflit en question ? Alors que M. Lessard était ministre des Affaires municipales, sa femme travaillait pour un petit organisme sans but lucratif qui aidait des promoteurs à obtenir des subventions en Beauce et dans Chaudière-Appalaches pour construire des logements sociaux.

Ces subventions étaient gérées par les fonctionnaires de la Société d’habitation du Québec. Le ministre ne choisissait donc pas lui-même où allait l’argent. Il a tout de même transmis cette information au commissaire, comme le prévoit la déclaration d’intérêts sur la famille exigée par le nouveau Code d’éthique.

Le commissaire y voyait-il un problème, et a-t-il émis des consignes pour éviter les apparences de conflit d’intérêts ? A priori, il semble que non. En effet, dans le sommaire de sa décision disponible sur son site web, il a répondu « ne s’applique pas ».

Ce que l’opposition qualifie de scandale ne dérangeait donc même pas le commissaire. Du moins, c’est ce qu’on en déduit… Car fidèle à sa discrétion extrême, le commissaire Jacques Saint-Laurent refuse de faire toute précision. Il est normal qu’il ne commente pas un dossier spécifique qui fait l’objet d’une enquête, mais il devrait au moins rappeler en termes généraux en quoi consiste le processus de déclaration d’intérêt. C’est son rôle d’expliquer la nature du jeune Code d’éthique.

Chose certaine, dans ce cas-ci, l’apparence de conflit d’intérêts était facile à désamorcer. Par exemple, un ministre du précédent gouvernement était en couple avec la mairesse de la cinquième ville en importance du Québec. Il quittait la salle du Conseil des ministres quand des dossiers touchaient sa conjointe, sans que cela ne dérange.

Le manque de jugement de M. Lessard se trouve ailleurs, dans l’embauche de son ami proche Yvon Nadeau en 2014 à son bureau de circonscription de Thetford Mines.

M. Nadeau avait déjà déposé une demande de subvention sous le gouvernement péquiste pour son entreprise forestière Pyrobiom. Pour vérifier s’il y avait conflit d’intérêts, M. Lessard a demandé un avis au commissaire. Selon le ministre, on lui a recommandé de ne pas parler de la subvention avec M. Nadeau, ni avec le ministre des Ressources naturelles, responsable du dossier.

M. Lessard aurait dû aller au bout de son raisonnement. Si le double emploi de son ami le préoccupait, pourquoi prendre ce risque ? Surtout que M. Nadeau, gourmand, a aussi travaillé pour une autre entreprise, Innoltek. Il aurait été si simple de chercher un employé qui ne posait pas de tel risque, et qui se serait consacré à temps plein aux dossiers du député.

M. Lessard dit avoir suivi les avis du commissaire. Or, il ne peut pas le prouver. En effet, dès qu’une demande d’enquête est à l’étude, les avis deviennent confidentiels. Cela mène à la situation absurde où l’opposition réclame la démission d’un ministre qui dit avoir obéi aux consignes du commissaire, sans qu’on puisse savoir qui dit vrai.

Dans la révision du Code d’éthique, il faudrait trouver une façon de délier le commissaire. Et il faudrait aussi interdire qu’un attaché politique occupe un autre emploi incompatible. C’est à cela que sert cette loi : à aider ceux, comme M. Lessard, qui s’en remettent au plus petit dénominateur éthique.

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