THÉÂTRE

La quête de Catherine Chabot 

Qu’est-ce qui nous anime vraiment ? Une fois les masques tombés, quelle est la place qu’on veut prendre ? Les choix professionnels qu’on veut faire ? La personne qu’on veut être ? Avec Lignes de fuite, son troisième texte, Catherine Chabot continue de soulever des questions embêtantes.

Sa pièce Table rase, écrite avec Brigitte Poupart et ses partenaires de scène, a allumé tous les témoins lumineux.

C’était en 2016. Catherine Chabot en était à son premier grand projet d’écriture. Le résultat a déstabilisé public et critiques. Un texte cru sur les relations amicales, amoureuses et sexuelles d’une jeunesse lucide, mais en quête de sens. Un huis clos chaotique et sans compromis où six jeunes femmes se donnaient la réplique dans un chalet.

La pièce a été produite à Londres l’année suivante par la compagnie Trip & Guts, menée par les Montréalaises Vanessa Labrie et Kathleen Glynn, qui recréent des pièces du répertoire québécois. Une deuxième production en anglais (Clean Slate) de Talisman Theatre verra aussi le jour à la mi-mars au Théâtre La Chapelle.

Dans le champ amoureux a suivi, la jeune dramaturge approfondissant les dilemmes et contradictions de nos rapports amoureux.

Lignes de fuite, que met en scène Sylvain Bélanger, est de la même étoffe. « Il y avait quelque chose de très intuitif dans Table rase, dans l’écriture, le geste », détaille la comédienne, qui a travaillé avec le dramaturge Guillaume Corbeil. « C’était organique, imprécis. Là, tout est plus calculé, il y a des pivots dramatiques, même si j’ai tenté de conserver la décharge de Table rase. »

À Saint-Henri

L’action se passe dans un loft de Saint-Henri, chez un couple lesbien dans la trentaine. Zora (Lamia Benhacine) travaille en haute finance, tandis que sa blonde, Olivia (Victoria Diamond), est artiste visuelle. Elles reçoivent deux couples d’amis pour une pendaison de crémaillère.

Catherine Chabot interprétera le rôle de Raphaëlle, amie de Zora. La troisième complice, Gabrielle, sera interprétée par Léane Labrèche-Dor. Benoît Drouin-Germain et Maxime Mailloux joueront les chums. Un groupe d’amis qui se voit de temps en temps, mais de moins en moins.

« Ce sont des amitiés qu’on s’oblige à entretenir, même si on sent qu’avec le temps on est rendus ailleurs », nous dit Catherine Chabot. Ce soir-là, tout va déraper. L’élément déclencheur : Raphaëlle découvre qu’elle est enceinte, une nouvelle qui va perturber la soirée.

Quête identitaire

Ces « lignes de fuite » sont des « possibles dormants », selon le philosophe français Gilles Deleuze, explique l’auteure.

« On a de la difficulté à saisir des désirs. On est souvent ramenés dans ce que la société ou le groupe d’amis veut de nous, dans l’image qu’on se fait de nous-mêmes, donc on s’empêche de vivre des choses et de découvrir d’autres facettes de nous qui sont dormantes. Mais il faut sortir de soi, se réinventer. »

— Catherine Chabot

Elle se plaît à décrire sa réalité, celle de jeunes trentenaires. « Les personnages se jugent et se questionnent par rapport à leur valeur, à leur carrière. Moi par rapport aux autres, au groupe, à mon chum, à moi-même. On s’évalue selon les critères de la société. »

Il y a aussi une dimension politique à Lignes de fuite

« Je voulais faire un portrait de la gauche et de la droite, et montrer qu’en fait on est profondément incohérents. Le personnage le moins politisé est à gauche, mais il ne le sait pas, alors que la fille qui se dit de gauche est la plus médisante et la moins généreuse. Ce sont des postures, des masques, pour la joute rhétorique, pour provoquer. »

Explorer toutes les avenues

La comédienne admet s’être inspirée de la dramaturge anglaise Nina Raine (Tribu, Consentement)

« Ses personnages présentent un point de vue et son contraire, sans jamais nous dire quoi penser. J’aime ce brassage d’idées. Il y a un couple ouvert, un autre qui est fidèle. J’explore toutes les avenues pour savoir ce que je dois penser, parce que je suis toute mêlée ! », dit-elle en s’esclaffant.

Pour créer l’espace du loft, Catherine Chabot s’est tournée vers le designer d’intérieur Zébulon Perron.

« C’est sa première scénographie pour le théâtre, nous dit l’auteure et comédienne. Il a fait le design de lieux comme le Furco, la Buvette chez Simone. Il réfléchit au design en se basant sur les relations des gens, du contact des clients dans un bar, comment ils communiquent entre eux, l’espace entre les chaises. Il pense à ça. » 

Qu’est-ce qui lie Lignes de fuite à ses autres pièces ? « Il y a une même unité de temps, de lieu et d’action », nous dit Catherine Chabot, que l’on verra dans le nouveau film d’Émile Gaudreault, Menteur (avec Louis-José Houde). « C’est une écriture hyper réaliste où il y a un enchevêtrement de répliques, on est dans le quotidien, dans le "ici maintenant". À Montréal, ce soir. Ce que j’aime, c’est qu’on donne l’illusion au spectateur d’assister à un moment de la vraie vie. »

Lignes de fuite, du 12 mars au 6 avril au Théâtre d’Aujourd’hui 

Clean Slate, du 18 au 30 mars au Théâtre La Chapelle

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