Chronique

La Caisse a eu un rôle à jouer

La Caisse de dépôt et placement a mis son nez dans les licenciements chez Bombardier. De son côté, Ottawa tarde à agir. Les chroniques de Francis Vailles et de Jean-Philippe Décarie.

On ne se contera pas d’histoires, la Caisse de dépôt et placement a eu un rôle important à jouer dans les licenciements de Bombardier.

Qu’est-ce qui m’amène à dire cela ? Qu’est-ce qui me porte à croire que le bas de laine des Québécois a donné son feu vert à Alain Bellemare ? Que la Caisse a même incité la direction de Bombardier à mieux tailler son crayon ?

Je vous explique. Sur les 7500 postes supprimés chez Bombardier, les deux tiers le sont dans le secteur ferroviaire (5000), communément appelé Bombardier Transport. Or, il y a un an, la Caisse de dépôt a injecté 2,0 milliards de dollars dans cette entité.

En échange, l’institution a non seulement obtenu une participation de 30 %, mais aussi un droit de regard sur une série d’éléments. Essentiellement, toutes les décisions importantes concernant Bombardier Transport doivent recevoir son aval, est-il indiqué dans un communiqué diffusé par la Caisse le 19 novembre 2015.

Premier élément qui exige son imprimatur : le budget annuel. Un tel budget, faut-il savoir, englobe les prévisions de revenus et de dépenses à court terme de la société, ce qui comprend bien sûr la masse salariale de Bombardier Transport et donc le nombre de postes.

Deuxième élément : le plan stratégique annuel. Ce genre de plan sert à établir les orientations de l’entreprise à moyen et à long terme pour lui permettre d’avoir du succès, de faire des profits et de procurer un rendement satisfaisant à ses actionnaires, notamment la Caisse de dépôt.

Dans ce genre de relations, la Caisse n’est pas un simple « Rubber Stamp », comme on dit en bon chinois. 

Elle ne se contente pas de mettre son sceau d’approbation après une lecture en diagonale des documents. M’est avis qu’elle pose des questions et fait des suggestions, quitte à exiger des modifications.

Question possible : n’êtes-vous pas trop optimistes quant à l’impact des licenciements massifs sur votre fonds de roulement compte tenu des longs délais exigés en France ? Autre possibilité : avez-vous bien évalué les effets de la fusion des deux principaux constructeurs de trains chinois CSR et China CSR sur vos chances d’obtenir des contrats ?

Rappelons qu’un mois après l’annonce de l’entrée de la Caisse au capital de Bombardier Transport, Bombardier mettait à la porte Lutz Berting, le PDG de cette filiale. Son remplacement par Laurent Troger devait vraisemblablement recevoir l’assentiment de la Caisse de dépôt.

Le porte-parole de la Caisse, Maxime Chagnon, ne nie pas que la Caisse a mis son nez dans le plan de redressement de Bombardier Transport. 

« On joue un rôle, effectivement. On a trois membres au conseil de Bombardier Transport. Pour nous, c’est la compétitivité de l’entreprise à long terme qui est importante. »

— Maxime Chagnon, porte-parole de la Caisse de dépôt et placement

Bombardier a d’ailleurs tout intérêt à ce que sa filiale Transport donne de bons résultats. Dans le cas contraire, sa participation de 70 % dans Bombardier Transport… diminuerait, au profit de la Caisse.

En effet, dans le communiqué de novembre 2015, il est précisé que l’injection de 2,0 milliards de la Caisse est assortie de « solides mesures incitatives » liées à la performance de Bombardier Transport.

« Si l’entreprise n’atteint pas la cible prévue dans son plan d’affaires, la participation de la Caisse augmentera de 2,5 % par année jusqu’à concurrence de 42,5 %. » À l’inverse, si l’entreprise surpasse la cible, la participation de la Caisse peut reculer jusqu’à un minimum de 25 %.

La participation de la Caisse est ajustée annuellement pour chacune des cinq premières années. Le premier ajustement aura lieu d’ici la fin de 2016, soit dans quelques semaines. N’est-ce pas le genre de clauses qui force Alain Bellemare et la famille Bombardier à optimiser la masse salariale ?

Ce n’est pas tout. Dans la foulée de la transaction, la Caisse a même obtenu de pouvoir approuver la nomination de tout nouvel administrateur indépendant au conseil d’administration de la société mère Bombardier, inscrite en Bourse.

Actuellement, la Caisse compte 15 administrateurs, dont 9 indépendants. C’est donc dire que la Caisse a eu son mot à dire dans la nomination, en avril dernier, des deux nouveaux membres, en l’occurrence August W. Henningsen, d’Allemagne, et Beatrice Weder di Mauro, de Singapour.

En somme, la Caisse participe maintenant activement au rétablissement de Bombardier Transport et indirectement à celui de la société mère inscrite en Bourse. En tant que fiduciaire des 2,0 milliards de dollars d’avoirs des Québécois injectés dans cette aventure risquée, il serait irresponsable de la part de la Caisse de faire autrement.

Heureusement, dans le cas de Bombardier Transport, les employés sont principalement à l’extérieur du Québec et du Canada et les impacts politiques pour la Caisse sont moins grands.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.