Autisme et trouble grave du comportement

Deux mères lancent un appel à l’aide

Marie Ismé et Katharine Cukier, deux mères dont les enfants autistes présentent de graves troubles de comportement, au point d’être occasionnellement très violents ou de se mutiler sévèrement et d’être expulsés de leur école, déplorent qu’elles soient abandonnées par le réseau de la santé.

Des épisodes de violence

Benjamin Cukier-Houde, qui est autiste et présente une déficience intellectuelle et un grave trouble du comportement, fréquente depuis l’enfance une école spécialisée. « Benjamin parle un peu. Il lit un peu. Il devait entreprendre bientôt un stage de travail à Moisson Montréal… », raconte sa mère, Katharine Cukier. Mais occasionnellement, Benjamin se désorganise. Il peut taper ses parents. Ou même plus. Depuis 2014, Benjamin a été hospitalisé à trois reprises à l’hôpital de Rivière-des-Prairies à la suite d’épisodes de violence.

La lutte pour les services

Au fil des ans, Mme Cukier dit avoir dû travailler d’arrache-pied pour obtenir des services adaptés et bénéficier de soins préventifs du Centre de réadaptation en déficience intellectuelle (CRDITED) de Montréal. « Des fois, on coupe nos services. Des fois, on est des semaines avant d’installer certaines interventions alors qu’on est en situation de crise. C’est très essoufflant », dit-elle. Le 4 février dernier, Benjamin s’est fait suspendre de son école après avoir été agressif. Il est depuis à la maison. « On comprend tout à fait. On ne veut pas que Benjamin fasse du mal. Mais on a peu de soutien pour l’aider », déplore Mme Cukier.

L’attaque

Le 26 mars, Mme Cukier a été attaquée par son fils. Benjamin, qui mesure 1,70 m et pèse 95 kg, a mordu sa mère et lui a arraché des cheveux. La mère a dû se barricader dans sa chambre pour appeler les policiers. Elle espérait que son garçon serait hospitalisé à l’hôpital Rivière-des-Prairies, le temps de se calmer. Mais cette hospitalisation lui a été refusée.

« On m’a dit qu’il s’agit de troubles du comportement et non pas de problèmes liés à une pathologie psychiatrique. On a refusé de le garder même pour quelques jours. »

— Katharine Cukier

« Il y a clairement un manque de ressources »

Chef du service des urgences et de l’hospitalisation en pédopsychiatrie au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, le Dr Sébastien Collette explique que l’hôpital Rivière-des-Prairies a pour mandat d’hospitaliser les patients avec des indications psychiatriques. Un enfant autiste avec une déficience intellectuelle et un trouble grave du comportement présentant également une psychose, ou un trouble anxieux, par exemple, peut y être hospitalisé. « Mais s’il n’y a pas de maladie psychiatrique, l’hospitalisation n’est pas indiquée. Ça peut même avoir l’effet inverse sur ces enfants et les faire régresser », affirme le Dr Collette. Le chef de service le reconnaît : « Il y a clairement un manque de ressources en réadaptation pour les enfants avec une déficience intellectuelle et un trouble grave du comportement. » Ce manque de services se fait aussi sentir, selon lui, en répit et en hébergement. « Des fois, on doit garder pendant des mois des patients qui ont terminé leur hospitalisation, parce qu’il n’y a pas de ressource pour les accueillir dans le milieu », dit-il.

Une lettre à la ministre

Mme Cukier est inquiète pour son fils. « Il fait un genre de suicide social. Il va s’exclure de tout », dit-elle. À cette détresse s’ajoutent les problèmes du reste de la famille. « Je suis en arrêt de travail. Ma fille fait de l’anxiété et des crises de panique », énumère Mme Cukier, qui est enseignante au secondaire. Désemparée, la mère a écrit une lettre à la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann. Elle y écrit que « le réseau de santé [les] a abandonnés » et y dénonce les interventions « lentes et inefficaces » du CRDITED.

La réplique du CRDITED

Au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île de Montréal, qui chapeaute le CRDITED de Montréal, on explique ne pas pouvoir donner de détail sur ce cas précis, mais on assure travailler « de près avec la famille pour les soutenir et identifier les meilleures stratégies pour les aider ». Par courriel, le porte-parole du CIUSSS, Jean-Nicolas Aubé affirme que lorsqu’une situation se détériore, « la famille peut faire appel à son éducateur et aux autres professionnels de l’équipe clinique qui (…) recommandent les interventions à privilégier ». Dans certains cas, un hébergement peut être proposé en ressource intermédiaire ou en résidence à assistance continue. Environ 300 usagers sont en attente d’hébergement sur le territoire du CIUSSS, qui possède près de 2000 places d’hébergement pour les personnes autistes ou avec une déficience intellectuelle. Les cas urgents obtiennent toutefois toujours une place en 72 heures, assure M. Aubé. Le CIUSSS reconnaît que pour la clientèle avec déficience intellectuelle et trouble grave de comportement, « les modèles de ressources d’hébergement traditionnels peinent à répondre aux besoins des usagers ». Des travaux sont en cours « afin d’augmenter le nombre et la variété de nos ressources d’hébergement », écrit M. Aubé. 

Autre histoire, même scénario

À Terrebonne, Marie Ismé a vécu une situation similaire à celle de Mme Cukier. Le 13 décembre 2018, son fils de 15 ans, Brandon, a été expulsé de son école spécialisée, car il se mutilait compulsivement. « Il se coupait les doigts. Ça saignait », résume Mme Ismé. La mère, qui enseigne l’informatique, a dû arrêter son travail pour s’occuper de son fils. Elle a joint l’hôpital de Rivière-des-Prairies pour que Brandon y soit pris en charge et apprenne à gérer ses compulsions. Encore aujourd’hui, elle est sans nouvelles.

« L’école ne veut pas le reprendre tant qu’il ne sera pas pris en charge par l’hôpital. Et je n’ai pas de nouvelles. Je suis censée faire quoi ? Mon enfant est en situation de crise, mais on ne fait rien. »

— Marie Ismé, mère de Brandon

Dégradation des services

Directrice générale de la Fédération québécoise de l’autisme, Jo-Ann Lauzon affirme que les histoires comme celles vécues par Mme Ismé et Mme Cukier sont fréquentes. « Les clients les plus complexes sont souvent ceux qui reçoivent le moins de services », dit-elle. « Malheureusement, pour la clientèle avec des troubles graves du comportement, le système ne parvient pas à répondre à leurs besoins », ajoute Mme Dalamagas, d’Autisme Montréal. Selon elle, la seule façon pour ces familles d’obtenir des services est de dire qu’elles ne veulent plus prendre leur enfant à la maison. « Mais souvent, ce n’est pas ce que les familles veulent », remarque-t-elle. Selon Mme Dalamagas, il est temps que le réseau de la santé revoie la façon d’offrir des services à cette clientèle. « La notion de prévention n’existe plus, dit-elle. On fait des rapports. Des fiches préventives. Mais il faut faire plus de terrain. Malheureusement, il n’y a pas assez de prise en charge réelle des cas avec des troubles graves du comportement. Il faut faire différemment. »

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